Goffman est un sociologue qui s’est longuement attaché à l’étude de l’interaction entre les individus.
En répondant à des questions simples, comme :
Que se passe-t’il lorsque deux ou plusieurs personnes se retrouvent face à face ?
Comment entrent elles dans une relation qui doit toujours viser la concordance, ne pas perdre face ? Comment l’homme, qui a du tact, fait semblant de ne pas avoir entendu les pleurs d’une jeune fille, pour ne pas la mettre mal à l’aise ?
Toutes ces pratiques communication elles sont là, pour rendre la vie sociale plus acceptable et normale.
A découvrir, ici !
Les textes de Goffman tournent autour de trois sujets centraux :
- La communication comme une scène de théâtre ou les acteurs jouent, et s’investissent dans une scène publique.
- Les rites et les règles qui nous permettent de préserver sa face, et celle de l’autre.
- Les cadres, les terrains de jeux ou nous nous exprimons, dans l’espace de communication.
On s’intéressera ici, dans cet article à la représentation théâtrale de notre monde de communication.
La vie comme un théâtre, la métaphore théâtrale, selon Goffman.
Dans « La présentation de soi« , Goffman explique :
L’éthologie nous explique les comportements des animaux, et la façon dont ils vivent ensemble.
Bateson, anthropologue que Goffman s’est inspiré, explique comment des loutres, ou des chimpanzés vivent ensemble, peuvent se battre pour « jouer ».
La scène, ou la vie comme un théâtre.
Nous le percevons nous-même, vivre avec les autres, c’est entrer dans la danse, « l’orchestre » ( pour reprendre une formule de Bateson ), sur une scène.
Jouer parfois un rôle, en fonction des circonstances.
Jouer au « père » devant son fils. Jouer au type droit, honnête devant son banquier…
Pourtant, dans la vision habituelle de la communication que l’on a, cet aspect social est souvent omis. On pense que pour bien communiquer avec les Autres, il suffit d’un bon message ; travailler le contenu ou la forme.
On oublie cette valeur essentielle dans la communication : la mise en scène, le contexte de la situation.
C’est cet aspect que Goffman remet en avant.
Pour une personne face à d’autres, Goffman nous demande de considérer qu’elle est un acteur, en représentation.
Et comme devant un public, l’acteur adopte des expressions, des gestes. Il s’agit ici de communication verbale et non verbale.
Au jeu d’acteur, les objets ( accessoires, vêtements .. ) sont également propices à construire le jeu, la scène. Le décor, comme le mobilier, a se place aussi.
Quel est l’enjeu du communicant / acteur face au public ?
Celle de proposer une situation stable, sans rupture dans l’intéraction avec son public.
Une représentation est réussie, quand il n’y a pas d’accroc, où tout coule : dans la voix, le rythme.
Goffman fait une analyse intéressante : le jeu de l’acteur produit une intéraction avec son public, et celui-ci fait partie intégrante de la communication sociale.
On le voit : lorsque l’acteur apostrophe le public, celui réagit.
Et c’est l’osmose, et la position même du public qui rend le spectacle réussi ou pas.
De même, dans un débat politique télévisé, le politicien peut jouer son rôle, répondre aux questions des journalistes. Mais ceux ci sont de facto intégrés dans la réussite de l’interview : la pertinence de leurs questions, de leur approbation va déterminer la qualité du débat, que le politicien, ou le journaliste souhaite.
Autre exemple : la conférence d’un professeur devant des étudiants n’est pas que l’exercice du professeur seul. L’intérêt des étudiants, leur nombre, leurs questions, leurs réactions ou leur silence provoquent la légitimité du professeur, son aura, et la diffusion d’échos favorables de son travail universitaire. L’acteur qui entre en jeu avec les autres met en « otage » les autres, les enrôle dans la même pièce. Les étudiants sont intégrés dans cet ordre social. Tous embarqués !
Les ingrédients de la représentation.
Pour mener à bien la représentation, Goffman indique que l’acteur a les ingrédients, ou « appareillages symboliques » suivants : La façade est un concept clé de Goffman : la façade construit la définition de la situation que l’acteur veut donner.
- le décor : généralement fixe, il assure la stabilité de la situation. Il s’agit par exemple d’une église, où le prêtre pourra exprimer son discours dans un environnement familier et favorable.
- la façade personnelle :
la façade personnelle est l’ensemble des signes distinctifs de la fonction ; le vêtement, le sexe, l’âge, la physionomie, l’attitude, la façon de parler. Ces éléments sont à la fois stables ( comme le sexe, les caractéristiques raciales ), ou pas. ( l’attitude, les gestes ).
Généralement le décor, et la façade personnelle se fondent.
Dans l’église, par exemple, la tenue lente, majestueuse du prêtre soulignent la solennité de l’endroit.
Lorsqu’il y a décalage, lorsqu’un élément diverge, cela attire immédiatement l’attention. C’est là que la situation stable peut se rompre.
Et anéantir l’espace tranquille, maîtrisé, et stable de la communication. Si le prêtre en venait à éclater de rire par exemple, pendant l’énoncé de la messe.
Réussir l’acte de communiquer.
Les acteurs et leur public utilisent la façade et les jeux de rôle qu’ils s’attribuent, pour réussir.
Ils mettent en scène et idéalisent leur propre rôle qu’ils jouent.
Ainsi, le médecin utilisera le froncement des sourcils, une voix grave pour accentuer la gravité, le sérieux, et sa légitimité de médecin.
La maîtrise des impressions ( impression management ).
On voit bien ici que la maîtrise du paraître est aussi important que l’être réel, que ce qui se cache derrière l’acteur.
L’important est que l’effet produit soit réussi, dans notre jeu relationnel de communication.
On pourrait rétorquer que cette maîtrise peut aboutir à une manipulation, ou un contrôle trop important de soi. Et l’exercice est vascillant. Il y a alors contradiction entre l’expression, et la réalité.
C’est l’exemple du jeune garçon en classe, qui à force de montrer qu’il est attentif au cours, ne suit plus ce que dit la maîtresse.
La sincérité dépend de la distance que l’on prend au rôle.
Goffman indique dans « Role Distance » que l’individu, dans certaines situations peut prendre le recul, de la distance sur son rôle.
Mais c’est pour mieux manifester un autre rôle, dont il n’est pas forcément maître. Ce qui relativise la notion de manipulation. La moralité de l’acteur « tricheur » n’est pas l’objet qui détermine nos activités :
En tant qu’acteurs, les individus cherchent à entretenir l’impression selon laquelle ils vivent conformément aux nombreuses normes qui servent à les évaluer, eux-même et leurs produits. Parce que ces normes sont innombrables et partout présentes, les acteurs vivent, bien plus qu’on ne pourrait le croire, dans un univers moral. Mais, dans la mesure où ce sont des acteurs, ce qui préoccupe les individus, c’est moins la question morale de l’actualisation de ces normes que la question amorale de la mise au point d’une impression propre à faire croire qu’ils sont en train d’actualiser ces normes. Leur activité soulève donc bien des questions morales, mais en tant qu’acteurs, ils ne s’y intéressent pas d’un point de vue moral : ils sont, sous ce rapport, des boutiquiers de la moralité
Le tact, ou la fausse note à éviter !
Vous l’avez compris, être dans la représentation, et jouer son rôle pour que tout se passe bien exige de ne pas faire de fausse note.
Et Goffman insiste : la « gaffe » est vite arrivée. Dans ce cas, chacun est là pour que le malaise se dissipe ; et que globalement, tout se finit bien.
C’est ce que Goffman appelle les « techniques de protection« .
Le tact en est une illustration exemplaire : si j’entends derrière la porte, une inconnue pleurer, je vais frapper, ou tousser, pour ne pas la mettre à l’aise, pour la prévenir de ma présence.
Devant une aveugle, on évitera de parler du regard. C’est là où la dimension d’une communication sociétale prend son sens : c’est s’adapter, et faire ce qu’il faut pour que tout se passe bien.
Ces éléments nous paraissent triviaux, car nous en procédons au quotidien. Pourtant, nos usages quotidiens nous montrent qu’ils ne le sont pas, et notamment dans les médias.
On lira ainsi un exemple de communication digitale : « Qui ne s’est jamais trouver idiot de s’apercevoir que le message qu’on avait envoyé a totalement été incompris ? » , dans l’article « Communiquer sur les réseaux sociaux« .
Parce que le tact est relatif à la politesse. Et aux normes de nos sociétés.
Goffman nous montre ainsi que la communication ne se résume pas à une partie de ping-pong ( j’envoie un message, tu le reçois ), mais plutôt à une représentation théâtrale, ou un symphonie d’un orchestre ; où chacun est acteur, et ne peut refuser d’être là : nous sommes acteur sans le vouloir, et engagés !
Agissez, et ayez en conscience … jamais passif. C’est l’intérêt de la communication !
A lire :
- Introduction à Goffman : la vie comme un théâtre.
- la Sociologie de Erving Goffman, par Jean Nizet et Nathalie Rigaux.
- Goffman fait partie d’une contre expression de la communication usuelle réduite à la transmission d’un message, dans l’acte de communication. Il fait partie de l’école de Palo Alto, autour de la communication expressive : Evolution de la communication
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