Toi, être humain normalement constitué, tu es scanné, mesuré, segmenté.
Tu es une composant d’un calcul. Le nombre est devenu l’élément sacré de notre humanité.
Petit tour d’horizon !
Naissance d’une culture du nombre.
Vous pensez que les chiffres, ce sont des affaires de mathématiciens, de scientifiques. Pas que !
Le nombre, la mesure, le calcul ont pris un ancrage dans notre société, touchant à l’humain. Et ce, depuis plusieurs siècles.
La culture du nombre est apparue au XVIIeme siècle.
Vauban entreprend de construire les places fortifiées. Pour accélérer leur construction, Vauban s’attache à définir l’ensemble des tâches, des fonctions nécessaires à la fortification des villes.
Il l’écrit dans « le directeur général des fortifications » en 1685. Vauban s’attachera à supprimer les flâneries des ouvriers.
Une rationalisation du travail voit ainsi le jour, bien avant le taylorisme et fordisme qui segmentera la chaîne de construction automobile.
Pour rationnaliser, il faut donc mesurer, contrôler le temps passé à une tâche donnée. Le temps humain devient un temps mesuré.
Au XVIII eme siècle, la naissance des statistiques et probabilité ouvre la porte à faire des analyses sur la société.
Dans les villes, on catégorise la population, sur la criminalité, les naissances. Les premières tables de mortalité apparaissent. Les premiers recensements de population sont faits en Angleterre en 1801. Catégoriser et dénombrer l’homme est le vœu de Condorcet.
En 1890, le statisticien américain Hermann Hollerith s’inspire du métier à tisser de jacquard pour inventer la machine à cartes perforées. La machine permettra le calcul des données du recensement américain en 1890. La hollerith tabuling machine deviendra la International business machine… IBM..
Le modèle quantitatif prend peu à peu la place du qualitatif.
Les statistiques, les mesures permettent de prendre les décisions.
On n’utilise plus le bon sens, son intuition, mais une lecture froide de chiffres. Cette idéalisation découpante de la réalité en chiffres rassure le décideur, le manager, le politique.
La donnée, la data est devenue l’instrument qui régule toute notre société. On mesure ainsi le travail des policiers au nombre d’arrestations , dénoncé par la profession comme le culte du chiffre, qui n’a plus de sens.
Quelques exemples ?
La valeur d’un chercheur est maintenant calculée par l’indice hirsch : le nombre de ses contributions et publications mesure son impact.
Déroutant de voir que la recherche, par définition impalpable dans ses résultats et bénéfices, subit la mesure froide de son travail.
La mesure concerne tous les domaines : les formateurs en entreprise auxquels on donne une note. Son banquier, son magasin, le professeur qui donne un cours.
Les études de satisfaction ont d’abord été menées à froid, c’est à dire qu’on interrogeait les gens quelques temps après un achat, un service, de manière globale.
Aujourd’hui, ces enquêtes se font à chaud, des que vous avez terminé un rendez vous avec un commercial ou votre banquier, nous recevons un email qui nous invite à donner une note. Sur le dernier événement, sur un seul rendez vous, comme si nous pouvions juger un professionnel sur un acte ponctuel.
Dans les magasins, des bornes invitent les clients à dire si vous avez été bien accueillis ou pas, en tapant sur un bouton vert ou rouge…
Ainsi, pour maîtriser notre monde, et le comportement des hommes, le calcul sur des mesures encodes en bits, en chiffres s’est imposé.
La dictature du nombre contre le bon sens.
Se dessaisir de notre conscience pour accepter toutes les technologies cognitives et computationnelles est une erreur.
Déjà, au temps de la guerre du Vietnam, Robert McNamara, secrétaire américain à La Défense sous kennedy et Johnson avait indiqué au cours d’un discours portant sur la stratégie de guerre au Vietnam la valeur déterminante des nombres et statistiques qui guidaient ses décisions. Or, il reconnut bien plus tard avoir trop ‘collé’ à des données apparemment objectives et froides, et n’avoir pas assez tenu compte d’autres paramètres juges moins fiables.
« La civilisation contemporaine aura atteint un stade qui instaure des modes d’appréhension et d’agissement prioritairement déterminés en fonction d’opérations computationnelles d’unités abstraites et discrètes, qui achèvent le long processus historique visant une pleine maîtrise grâce à L’idéalité découpante et rationalisante des nombres et des mathématiques »
écrit Eric Sadin, dans La vie algorithmique, critique de la raison numérique.
Le rêve de vision hégélienne devient réalité :
« Tout ce qui est réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel » ( préface aux principes de la philosophie du droit).
Cette mise en chiffres de notre monde vise à réduire la réalité dans sa totalité à un continuum infini de chiffres .
Kant dans la critique de la raison pure indiquait que les conditions de possibilité de la connaissance était nécessairement soumise à l’expérience. À la validation de la perception.
Or la perception du sensible est impossible à appréhender.
Le sensible ne se catégorise pas. Il est la part d’ambiguïté, d’individualités originales. Non palpables par l’ordinateur. Irréductibles à toute normalisation.
L’idéalisation de la mathématique dans l’histoire n’a fait que s’imposer petit à petit.
Éric Sadin ajoute :
« C’est précisément à cause de ce flottement, de sa variabilité consubstantielle, de cette impossibilité à l’obliger a des mesures communes que Platon l’envisagera contraire à toute connaissance noble ».
Et que tout ce qui est lié avec le corps, la sensation, la perception ne permet pas la connaissance.
C’est la pensée pure et sans mélange, et non l’expérience et la perception des sens, qui est à la base de la nouvelle science de Galilée.
Husserl avait bien alerté sur cette sur-mathématisation. Dans la crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale ( 1935-1936).
« La pensée arithmétique devient une pensée apriorique sur les nombres en général, sur les nombres, entièrement débarrassé de toute réalité intuitive ».
Ce lanceur d’alerte fut peu entendu, au moment où la puissance techno-militaire met en place les premiers ordinateurs au service de la seconde guerre mondiale.
Turing par sa machine computationnelle décrypte les codes allemands permettant de comprendre le lieu des frappes aériennes.
La cybernétique prend son ampleur.
Tout est mesuré, piloté. Le numérique comme le nouveau gouvernail de notre monde économique, militaire, social.
Tout ce qui n’est pas mesurable, au fond, est exclu. Comme n’existant pas.
Les efforts de la techno science se concentrent même sur le corps, la perception, les sens. Que Platon refusait d’intégrer dans la science.
L’extension des capteurs numériques se déploie dans tous les champs : la vision, le battement du coeur, l’ouie.
Nos déplacements géolocalisés suivent notre mouvement incessant, captant nos habitudes.
Self and World Quantified.
La dictature de la mesure et du nombre n’est pas une dictature à la big brother, cher à Orson Wells.
Ni une dictature d’un état, la NSA.
Cette dictature s’est répandue, par les usages présentés précédemment par la techno-science, et les acteurs numériques associés.
Le paradoxe, même, c’est que nous même nous nous adonnons à cette formidable aventure du tracking, de la trace, de la mesure.
Le self quantified est l’activité d’auto-mesuré que nous nous infligeons.
En connectant notre corps à la technologie : les applications numériques mesurent le nombre de pas que l’on fait dans la journée, le nombre de kilomètres courus, le nombre de pulsations cardiaques. En espérant mesurer et contrôler une meilleure performance.
Et cette dictature silencieuse est déjà ancrée en nous. Personne ne vous à forcé à télécharger et utiliser ces applications.
Toutes ces données captées alimentent plus globalement le World quantified, selon la formule d’Eric Sadin : la mesure du monde. Le pouls du monde.
Le pouls du monde, l’ensemble de l’activité humaine sont ainsi stockés dans des gigantesques bases de données. Constituant le big Data.
Une publicité d’IBM idéalise cette réduction au nombre et la course aux données :
« Les dirigeants ont longtemps favorisé l’intuition et l’expérience dans la prise de décisions. Désormais, les big data rendent cette approche dépassée ».
Comme beaucoup de publicités, la publicité d’IBM est viciée :
Tout ce qui n’est pas mesurable ne doit pas exister. Et mis de coté de manière cynique.
C’est au contraire l’intuition, ce qu’on ne peut réduire à l’octet qui constitue la formidable intelligence suprême, et humaine.
Avec conscience, vous déciderez qui peut décider de vous mesurer. Faites le bon choix !
Ping : Les billets essentiels pour ne pas bronzer idiot cet été ! | Zeboute' Blog
Ping : Eric Sadin, le troubillion du monde numérique ! | Zeboute' Blog
Ping : Réseaux sociaux : les gafas lancent le « social scoring ». | Zeboute Infocom’
Ping : Vos prédictions pour 2020 | Zeboute Infocom’