« Communication : ce terme a un grand nombre d’acceptions », disait Diderot dans l’Encyclopédie Universelle.
La communication, comme on l’entend aujourd’hui ne date pas de la fin du XXeme siècle, comme le souligne Armand Mattelart.
Elle est plus ancienne, et elle rassemble des notions différentes.
L’histoire de la communication et « son invention », voilà l’étude remarquable d’Armand Mattelart.
Elle est une invitation à sortir des sentiers battus de la communication médiatique, et un parcours plus large : les circuits d’échanges, la circulation des personnes, des biens, des messages.
Je vous invite ici à y trouver les notions essentielles.
La communication, c’est à dire échanger avec les autres des mots, des pensées, des gestes, des postures est née avec la préhistoire, et la « naissance » de l’homme.
D’un village local, primitif où l’on communique avec son entourage, résumé à une tribu, la communication s’est élargie avec le monde moderne.
L’histoire de la communication débute au XVIIème siècle, époque où ni les médias, ni la presse n’existaient.
L’histoire de la communication s’étale ainsi de l’ouverture au monde, au monde des idées, et de la Raison, via l’établissement d’un système de communications.
Elle se ferme avec la fermeture, la segmentation du territoire, pour mieux communiquer avec ses cibles.
C’est l’ère du fordisme, et le lancement des études de marché, au XXème siècle.
C’est l’objet de cette histoire passionnante de la communication.
Armand Mattelart définit ainsi 4 histoires de la communication :
- La domestication des flux et de la société en mouvement : où comment les idées de progrès nourissent la naissance de la communication moderne.
- La communication dans la construction d’une conception d’un lien universel : les utopies sont nombreuses dans le « vivre ensemble ».
- L’histoire de la communication comme espace : un état des lieux de la géographie de la communication à l’ère des empires, au XIXème siècle.
- L’histoire d’un individu calculable, moyennisé, entrant dans les calculs statistiques. L’ère du contrôle et du suivi de l’homme. Question moderne, avec la surveillance numérique de l’homme ( Google, la NSA , … )
On lira ici les premiers notions, palpitantes, car elles définissent notre monde d’aujourd’hui :
La société de flux, ou comment la communication s’est structurée à son début.
A quoi sert il de communiquer ?
Echanger bien évidemment avec l’Autre, son semblable. L’espace de communication se réduit historiquement à son entourage, ses amis, son village.
Mais plus largement, la communication s’est élargie, pour pouvoir réunir l’ensemble des hommes.
C’est le voeu du progrès humain, au XVIIème siècle.
« Au cours du XVIIème siècle, la Réforme Intellectuelle met à jour le programme d’une science utile et liée aux faits d’où émerge la représentation d’un monde en mouvement, susceptible d’être changé. L’avènement de la communication comme projet de mise en oeuvre de la raison s’inscrit dans le droit fil de cet idéal de la perfectibilité des sociétés humaines ».
Bien faire, bien communiquer. Et donc s’en donner les moyens.
Ce sera l’oeuvre de grands chantiers surtout techniques.
Le vecteur de rapprochement des êtres humaines est le développement des voies de navigation, de communication.
Relier les hommes, en les rapprochant géographiquement.
C’est ainsi que s’est construit une appropriation géographique des hommes : où sommes nous, comment se rencontrer ?
Elle démarre au XVIIème siècle, en France.
L’effort de rationalisation de l’espace de communication en France est mené par Jean-Baptiste Colbert ( 1619-1683 ), contrôleur général des finances, sous Louis XIV ;
et Vauban.
L’état de la France au XVIIème siècle était une absence de système de communication fluide et cohérent.
Et donc un obstacle à la circulation des biens, des échanges, des idées.
Colbert se soucie de créer en France un relevé cartographique de la France. La production cartographique à l’époque était dominée par les Pays Bas, et Amsterdam.
Vauban, crée lui le corps des ingénieurs géographes.
Et s’attache à recenser et moderniser les besoins en voies navigables.
Il étudie la possibilité de rendre connecté l’immense atout des rivières navigables, pour « communiquer la navigation des rivières les unes des autres ».
La communication est à ce moment intimement lié au commerce, qui comme la communication, est un échange.
Mais ici de denrées.
C’est ce que rappelle Armand Mattelard, en reprenant la définition du mot commerce dans l’Encyclopédie universelle :
« on entend par Commerce, dans le sens général, une communication réciproque. Il s’applique plus particulièrement à la communication que font les hommes entre eux des productions et de leur industrie ». ( 1753 ).
On remarquera ici que la communication se « love » avec la technique, et l’outil.
Nos façons d’appréhender la communication sont fondamentalement liées à la technique.
Thème cher que développera Régis Debray, en conceptualisant la médiologie.
Les avancées techniques qui permettent ainsi le rapprochement d’un monde de communication :
- l’invention des écluses par 2 ingénieurs italiens au XIème siècle permet de rendre possible la création de canaux.
- la réalisation du canal du Midi en 1663, qui est une jonction des mers, achevé en 1684. Paul Riquet en est le maître d’oeuvre. L’utilisation de la poudre à canon pour creuser des tunnel est une innovation. L’objectif de ce canal est stratégique, et de permettre de passer de l’Atlantique à la Méditerranée sans passer par Gibraltar.
Les ingénieurs des Ponts.
L’espace navigable approprié par Vauban, l’espace des routes devient un autre pré-requis à une accélération et fluidité de la communication.
En 1669 est ainsi crée l’institut des Ponts et Chaussés, un corps d’ingénieurs chargés de la construction et l’entretien des ouvrages d’art, des routes.
L’état des routes est en effet à cette époque pollué par les amoncellements des fumiers agricoles, par exemple.
Des traités sont promulgués pour obliger les corvées, et de rendre accessible les routes.
Les chemins doivent être praticables, surtout en temps de guerre pour le transport des munitions.
L’objectif des ingénieurs des Ponts et Chaussées est alors d’élaborer un nouvel idéal, basé sur la rationnalité technique.
Mais surtout sur le rapport de la communication de la Nature et la Raison.
« La communication a comme mission de faire advenir la nature rationnelle, la bonne nature. Une nature qui sépare s’interpose entre les hommes, et est à l’origine de préjugés. ».
Citant Antoine Picon, historien de cette époque :
« C’est tout le sens de l’action de l’ingénieur qui établie des voies de communication, jetant des ponts au-dessus des précipices pour rapprocher les hommes. Venant illustrer ce point de vue, la métaphore de la famine est extrêmement fréquente sous la plume des ingénieurs des Ponts et Chaussée. En séparant les hommes, la nature crée des conditions de la disette, car elle permet que telle province regorge de grains tandis qu’une autre manque de tout. L’ingénieur est alors investi d’une mission consistant à « corriger » ces inégalités, en permettant la circulation des marchandises ».
Transposée, cette conception fait de l’ingénieur, nous dit Armand Mattelart, le serviteur privilégié de la raison puisqu’il combat les préjugés en faisant communiquer les hommes entre eux.
Le réseau ferrovière et le réseau télégraphique : le raccourcissement du temps.
Au réseau navigable, et routier, le réseau ferrovière est le troisième réseau qui irriguera l’ensemble du territoire Français.
L’invention des outils relatifs à la vapeur va permettre progressivement l’arrivée du train. L’Angleterre a initié très tôt, dès 1800 la révolution de la vapeur. Pauvre en bois, le pays se tourne vers le charbon. Ce combustible est disponible dans les souterrains inondés, et delà les pompes sont nécessaires. La pompe à vapeur devient le premier champs d’application de la vapeur.
Ces mêmes mines de charbon utilisent le rail, depuis le début du XVIIème siècle. Simples barres de bois ( puis de fonte ) sur lesquelles on tire des chariots. Il faudra attendre l’invention de George Stephenson pour inventer la locomotive à vapeur.
L’arrivée du train changera l’organisation spatiale du pays, puisqu’elle permet d’accélérer les déplacements.
La communication entre les hommes devient plus immédiate, plus facile. Comme aujourd’hui le permet internet, et le réseau de communication web. L’harmonisation a pu se faire , puisque les règles, les principes doivent être les même.
L’usage de l’heure Greenwich dans toutes les gares ( en 1847, par la British Railway ) en est un exemple. La synchronisation temporelle, partout, permet le point de référence universel, celui du temps.
Le réseau télégraphique est le réseau de communication qui permettra l’instantanné, dans les échanges de communication.
L’abbé Claude Chappe ( 1763-1805 ), ingénieur et physicien permet le déploiement du premier réseau télégraphique. En 1791 entre Paris et Lille, et en 1793 est ordonnée la première ligne télégraphique.
Jusqu’en 1855 le réseau le plus long du monde sera déployé en France, construit en étoile, reliant les principes places fortes.
Le télégraphe, d’abord outil de défense militaire sortira dans le domaine public et commercial, avec l’invention du télégraphe électrique, et du corde morse.
L’importance de ce premier réseau virtuel ( transmission de signaux arbitraires ), temporel ( messages transmis instantannément ) et spatial ( l’information véhiculée dans les relais partout en France, et dans le monde ) est la même que l’arrivée des réseaux modernes informatiques.
La science utile, la cybernétique, ou la communication comme pilotage de l’activité.
Notre monde du XXIème siècle est le monde de la communication, et surtout d’un monde qui travaille avec l’objet culturel, l’information.
La plupart des activités du monde tertiaire procède de cela :
Manipuler de l’information, définir des processus, piloter des évènements de plus en plus croissants.
- Par exemple, le fordisme a défini de façon structurée les tâches élémentaires à accomplir pour construire une voiture.
La construction de la voiture est devenue un ensemble de processus informationnels sur l’état d’avancement de la voiture ; mesurée, calibrée, robotisée.
- L’informatique procède du même processus :
le développement de nouvelles applications informatiques procède du suivi et du pilotage d’un ensemble de tâches, élémentaires permettant la production d’un nouvel outil.
C’est le règne de la cybernétique ( la science du pilotage ), qui intègre la notion essentielle de l’information maîtrisée, pilotée.
Notion introduite beaucoup plus tard par Wiener.
La rationalisation des tâches, son suivi, son pilotage sont nés à l’époque de Vauban.
Dans le chaos et la confusion de, mettre de la rationnalité, de la mesure, et de l’ordre, voilà le leitmotiv de Vauban.
Pouvoir construire des fortifications de manière rationnelle, afin de respecter des objectifs de moyens et de délais est primordial.
« L’évolution sociale s’oriente vers une structure relevant du calcul« .
Le premier projet de Vauban en ce sens est l’édification de places fortes. Qu’il commence à Lille, en 1667. Il en batira 33.
Il introduit ainsi, plusieurs siècles en avance sur le fordisme, et le taylorisme les principes de la gestion de tâches, et du pilotage des processus communicationnels.
Dans « Le directeur général des fortifications« , en 1685 à La Haye, il notifie ainsi la notion de fonction, de feuille de route, de tâche.
« Pour parvenir à l’établissement de cet ordre, il est nécessaire d’entrer dans le détail des principaux emplois, et d’en donner une idée, qui fasse connaître à ceux qui en sont pourvus quel que doit être le dû de leur charge ».
Vauban supprimera ainsi la flânerie systématique, et rationnalisera le travail de l’ouvrier, afin de répondre aux objectifs des réalisations des fortifications.
En 1686, il rédigera une « méthodologie générale et facile du dénombrement des peuples ».
A des fins pratiques opérationnelles, la surveillance, le contrôle des masses est ainsi initié, bien avant la surveillance numérique dont aujourd’hui nous nous offusquons.
La découverte du mouvement circulatoire. Notion de réseau.
Parler de réseau social, de réseau informatique aujourd’hui est monnaie courante.
Le réseau est un mouvement circulatoire, qui relie des objets ( techniques ou humaines ).
Et certains de ces objets ont une fonction.
L’objet est de le relier.
Cette science est initiée par Francis Bacon ( 1561-1626 ), dans son plaidoyer « Novum Organum » de la théorie scientifique du progrès.
L’idée de circulation est née avec la biologie, et le parallèle de la circulation du sang dans les organes.
Francis Bacon découvre le mécanisme de la circulation du coeur et des artères.
« le sang arrive au coeur par les veines et en sort par les artères, les battements du coeur provoquant un mouvement perpétuel dans un circuit fermé. C’est la première représentation de la mécanique d’une fonction organique ».
Marcello Malpighi ( 1628-1694 ) complète la découverte scientifique, en montrant comment s’effectue le passage du sang des artères vers les veines.
Quel rapport avec la communication ?
L’idée de réseau véhiculant d’organes maîtres ( le coeur ) vers d’autres organes qui effectuent d’autres opérations (le foie, le rein ) est un modèle centralisateur de l’information véhiculée par des centres ( l’état, Paris, les bons penseurs ) vers d’autres centres ( les paysans, le « peuple » ).
Jean-Jacques Rousseau reprend la métaphore du corps et de l’organisme. La communication donne unité au corps politique, social.
« les lois et les coutumes sont le cerveau ; le commerce, l’industrie et l’agriculture sont la bouche et l’estomac qui préparent la subsistance commune , les finances publiques sont le sang qu’une sage économie, en faisant les fonctions du coeur, renvoie distribuer par tout le corps la nourriture et la vie. »
Cette métaphore de la fonction organique sera reprise dans les discours sur la communication.
C’est à ce moment que le mot « réseau » terriblement moderne aujourd’hui prend son sens.
Réservé jusqu’à alors à la dentelle, le réseau devient le « corps réticulaire de la peau », selon Malpighi.
L’unification radicale du territoire: normes, pour mieux se mesurer.
Rassembler, c’est unifier. Circuler, c’est mesurer.
On assiste au XVIIIème siècle à l’adoption d’un système unique de poids et de mesure.
Et pour la communication, ce leitmotiv est celui du schéma unificateur du territoire, issu de la révolution de 1789.
Il commande l’unification et l’harmonisation des normes de l’échange.
La rationalisation passe par la normalisation par exemple des poids ( le mètre , le kilo ).
Ces éléments peuvent sembler naturels aujourd’hui, mais à l’époque, les unités de mesure étaient soumises au bon vouloir des marchands. Les cahiers de doléances soulevaient souvent les litiges.
100 livres avaient la même valeur à Paris, et Saint-Malo, mais 105 à Bourges…
En 1799 est donc promulguée la loi portant sur la fixation du mètre et du gramme. Unités fondamentales du système métrique.
Il faudra attendre 1840 pour que le système soit rendu exclusivement obligatoire : les résistances sont fortes.
L’historien polonais Kula résume ainsi cette avancée, dans la communication entre les hommes :
« L’idée des doctrinaires, parfaite dans sa pureté rationaliste a pénétré les activités quotidiennes de la nation, et plus important encore sa conscience quotidienne. La réforme métrique a permis d’abord de supprimer les innombrables occasions d’exploitation des pauvres par les riches, des naifs par les rusés. Grâce à ce système, on a réussi à imposer à toute la nation les mêmes catégories de pensée, représentations spatiales, idées nouvelles de poids, et chose la plus difficile, la division décimale… Imposer aux hommes les mêmes catégories de pensée afin qu’ils se comprennent mieux, n’est ce pas une oeuvre admirable ? ».
- La « raison statistique ».
A l’instar de la mesure décimale, les probabilités voient leur essor.
Là aussi dans un but d’unification, de statistiques permettant de définir l’homme, le catégoriser.
Cette volonté s’inspire de la volonté d’une langue universelle, chère à Condorcet ( 1743-1794 ).
Dans son « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain », il souhaite une langue universelle, basée sur les progrès des méthodes mathématiques ».
A cette époque, la mesure exacte des choses guide ainsi l’organisation d’un système statistique.
La surveillance démographique est néante, à la fin du XVIIIème siècle. Les premières tables de mortalité voient leur apparition.
Les mathématiciens Laplace et Condorcet commencent à appliquer la probabilité.
Les premiers recensements en Angleterre ont lieu en 1801. En France, la statistique . Le mathématicien Adolphe Quetelet définit les statistiques en terme de criminalité de la population. « L’homme moyen » est défini.
En Belgique est fondée par Quetelet la commission centrale de la statistique, et le premier congrès international de statistique.
En 1880, le statisticien américain Hermann Hollerith s’inspire du métier à tisser de Jacquard pour inventer la machine à cartes perforées. Elle sera utilisée pour le calcul des données du recensement américain en 1890. Son invention sera commercialisée en 1924, et la Hollerith Tabulating Machine deviendra la International Business Machine ( IBM ), le futur géant informatique américain.
L’unification, la rationalisation d’un homme calculé, mesuré permettent d’apposer un système social et public élaboré, cohérent.
C’est le pré-requis d’un système de communication entre les hommes, qui peuvent se comparer, et être comparés.
En synthèse
La communication n’est pas qu’un échange verbal, ou écrit, ou médiatique.
Elle est intrasèquement liée aux modalités historiques qui ont permis :
d’unifier, de rassembler les hommes par les moyens de communication ( terrestres, navigables, ferrovières ).
A travers des projets militaires, techniques, scientifiques et sociaux.
A travers des projets moraux, sociétaux : améliorer la condition des hommes.
Les notions développées au XVIIème siècle ( réseau – traçabilité – surveillance – données de recensement – division du travail ) sont celles de notre monde de communication d’aujourd’hui.
C’est le premier chapitre que nous dévoile Armand Mattelart : celle d’une société de flux.
A suivre !
[ Texte : Armand Mattelart, L’invention de la communication. La découverte / Poche 1994 ]
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c’est chiant les cours!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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Bonjour, les cours sont parfois ennuyeux , mais il s’accrocher. j’espère en tout cas que ces articles sur ce blog sur les sciences de l’information et de la communication vous donnent un éclairage complémentaire. Guillaume.
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