Il est d’usage de séparer l’homme de la machine, de l’objet technique.
La technique, comme étant un objet étranger à l’homme ; un instrument lui permettant de l’aider dans ses tâches quotidiennes.
Telle séparation est trompeuse : l’homme est lui-même un objet technique.
C’est son corps dont il s’agit.
C’est l’objet du texte de Marcel Mauss » les techniques du corps ».
Ecrit en 1934, il nous rappelle que le corps est le « premier et le plus naturel instrument de l’homme ».
Focus !
Les techniques du corps, Marcel Mauss.
Marcel Mauss est éthnologue, né en 1872.
Il voyage longuement à l’étranger, lui permettant de découvrir rites, usages, traditions. Ouvert sur le monde, curieux sur le monde, il est considéré comme le père de l’anthropologie Française.
Il est un des fondateurs de l’Humanité, aux côté de Jean Jaurès.
Qu’est ce que la technique du corps ?
« J’entends par ces mots la façon dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps ».
« Nous avons fait l’erreur fondamentale de ne considérer qu’il n’y a technique que quand il y a instrument.
Il fallait revenir à des notions anciennes, comme Platon parlait d’une technique de la musique et en particulier de la danse, et étendre cette notion. »
« J’appelle technique un acte traditionnelle efficace.
Il n’y a pas de technique et pas de transmission, s’il n’y a pas de tradition.
C’est en quoi l’homme se distingue avant tout des animaux : par la transmission de ses techniques, et très vraisemblablement par leur transmission orale ».
La transmission de la technique passe par la tradition ; elle est donc ancrée dans un temps ; une histoire ; une société ; un pays.
L’exemple de la nage, un acte traditionnel :
La nage paraît un geste naturel, inné, qui relève du corps. Et universel.
Nous n’avons pas conscience que c’est une technique du corps, qui peut varier selon les époques, les pays.
Les polynésiens ne nagent pas comme nous. Et la génération d’aujourd’hui, pas de la même façon qu’autrefois.
Par exemple, avaler de l’eau et la recracher pendant la nage était de coutume au XIXeme siècle, en occident. Technique aujourd’hui oubliée. A l’époque, c’est l’analogie avec le bateau à vapeur qui expliquait ce mouvement de nage.
Marcel Mauss prend également l’exemple de la bêche.
« Pendant la première guerre mondiale, en France, les soldats anglais ne savaient pas user des bêches françaises. Ce qui obligeaient à changer 8000 bêches par division, à chaque relève de division ».
Par ces exemples, Marcel Mauss nous montre que la technique est soumise à l’éducation, une culture, une psychologie d’une population à l’autre.
Classifier ces techniques du corps.
Les attitudes du corps sont multiples. Et beaucoup nous échappent, tellement elles semblent « naturelles ».
Marcel Mauss tente de les regrouper, en les distinguant :
- Par les attitudes propres au sexe :
la façon de tenir le poing par exemple. L’homme a tendance à placer le pouce au dessus du poing, à la différence de la femme qui le place dans le poing.
- Par les attitudes propres à l’âge :
Marcel Mauss prend l’exemple de l’enfant accroupi. Une attitude bien naturelle et souple pour l’enfant, plus difficile à l’âge adulte. « L’enfant s’accroupit normalement. Nous ne savons plus nous accroupir ».
- Par les attitudes propres au rendement, ou efficacité :
L’homme rend ses gestes plus efficaces ; afin de réduire l’effort physique, aller au plus vite au résultat.
Ces techniques sont véhiculées au travers de l’éducation, de la transmission ( que Marcel Mauss appelle « dressage » ).
Le geste optimal définit l’habileté de l’homme.
- Par les transmissions de ces formes techniques :
La transmission de la technique corporelle peut être liée à l’efficacité ( rendement, comme indiqué plus haut ) ou à la culture, aux schémas religieux ou idéologiques. L’usage de la main gauche a souvent été dénié, par des principes, en privilégiant la main droite.
Abécédaire des techniques du corps.
Nos pratiques corporelles sont riches.
Marcel Mauss nous en donne une liste à la Prévert, jubilatoire, en partant de notre évolution dans la vie.
- 1. Technique de la naissance et e l’obstétrique.
Les techniques d’accouchement varient selon les époques. Ou les sociétés. En Inde, les femmes accouchaient debout.
- 2. Techniques de l’enfance :
L’histoire du portage est important. On porte l’enfant sur le dos, en écharpe. « L’enfant qui s’accroche au cou, à l’épaule, à califourchon sur la hanche. C’est une gymnastique remarquable, essentielle toute sa vie ».
L’usage ou non du berceau, dans les sociétés.
- 3. Technique de l’adolescent.
Dans certaines sociétés, l’éducation s’accélère à la puberté pour les hommes. Pour les femmes, l’éducation, plus traditionnelle passe de l’école de leurs mères à l’épouse directement.
- 4. Techniques de l’âge adulte.
On y retrouve :
– les techniques du sommeil : le coucher « à la dure », est possible pour certaines sociétés, à terre. D’autres ont besoin de l’instrument ( le lit ). Un banc, pour soutenir la nuque. Un totem, quelquefois sculpté.
Il y a des gens à nattes, et sans natte ( en Asie, Océanie ). Oreillers. Sans oreillers. Le sommeil debout, possible, chez les Massaï. Ou balancés dans un hamac.
– les techniques de veille :
Le repos est possible. Au moment du repas, à table. L’humanité est parfois accroupie ; l’autre est assise.
Il y a des gens qui ont des tables, d’autres sans. La table « Trapeza » grecque n’est pas universelle. Dans tout l’orient, c’est le tapis, ou la natte.
– Techniques de l’activité, du mouvement :
On y regroupe toutes les activités : ramper, nager, fouler, marcher.
On notera par exemple le « pas de l’oie« , propre à l’armée Allemande. Qui est un moyen d’obtenir le maximum d’extension à la marche. ( pour des peuples plutôt de grande taille en Europe du Nord ).
La course, la dance. La danse enlacée ( en occident ) qui peut choquer d’autres peuples. Les Maori, qui se trémoussent fortement en dansant.
La grimpe : certaines techniques utilisent la ceinture, ceignant l’arbre et le corps. D’autres n’utilisent que le crampon, sans ceinture…
La descente : la technique du kabyle qui sait descendre la montagne avec ses babouches semble inimaginable pour l’occidental…
– Les techniques du soin du corps :
Le savonnage a des pratiques différentes : le savon est inventé par les Gaulois. Au Brésil, et en Amérique centrale, on se savonnait avec le bois de Panama, le « Brazil ».
– Les techniques du manger : Avec ou sans les doigts.
– les techniques de reproduction.
Les rapports du corps à la technique
Ces mouvements du corps font donc intervenir le caractère biologique, physiologique et psychologique de l’être humain.
Le corps s’adapte à son environnement : c’est l’aspect sociologique : « Je crois que l’éducation de toutes ces techniques consiste à faire adapter le corps à son usage ». Apprendre la résistance, le sang-froid, dans certaines sociétés ou périodes ; par exemple.
D’autre part, l’efficacité des mouvements, évitant les gestes parasites ; il s’agit de l’aspect physiologique / biologique ( « le moindre effort pour le corps » ).
Marcel Mauss, par ce texte, replace l’Homme, ses pratiques corporelles dans une dimension complète, et non limitée à sa pensée. Et intègre l’objet technique en soi, qu’on croit à tort extérieur.
L’usage de la technique en soi, et hors de soi.
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