
A l’heure où la barbarie continue de se déployer ; où le supplice au nom de la religion fait loi, revenons sur l’histoire.
Michel Foucault a écrit un formidable essai, « Surveiller et punir« .
Référence sur le sujet, dont je vous propose ici une relecture. Et synthèse.
Du supplice du condamné sur l’échafaud à une pratique du pouvoir de la punition. Du contrôle. Qui perdure sous toutes ses formes.
Petite introduction du supplice
Robert François Damiens est le dernier condamné en France à subir l’écartement comme châtiment. En 1757, il tente d’assassiner le roi Louis XV. Condamné pour régicide, il subira un supplice sans nom.
Sur l’échafaud, il fut tenaillé aux mamelles, bras, cuisses. Il fut brûlé de cire aux endroits où il était tenaillé, avec du plomb fondu, de l’huile bouillante, de la cire et soufre fondus. Le bourreau pris des tenailles d’acier pour arracher des pièces de chair. Là le tennailleur put verser de l’huile brûlante.
Malgré toutes ces souffrances, le supplicié était toujours vivant. il criait et levait de temps en temps la tête.
Toujours vivant, Damiens fut démembré, par 4 chevaux qui l’écartela.
Il fut difficile de l’écarteler. On dû faire appel à 2 chevaux supplémentaires. On fut obligé de couper les nerfs du condamné pour faciliter la manoeuvre des chevaux.
Ses membres et corps ensuite réduits en cendre.
Voilà la justice des hommes au milieu du XVIIIème siècle.
Et voilà comment commence cette histoire du châtiment.
L’essai surveiller et punir, de Michel Foucault s’ouvre sur l’effroyable. Le châtiment sur les condamnés au xviiieme siècle.
Les supplices ont heureusement disparu en un siècle, redéfinissant toute la façon dont on punit les hommes. Même si la torture et les châtiments sont toujours perpétrés dans les pays dictatoriaux, ou par les agences de renseignement de certains pays démocratiques.
Histoire du supplice

Une peine pour être un supplice doit répondre à 4 critères.
- Elle doit produire de la souffrance. Graduée et codifiée.
- Elle fait partie d’un rituel. il doit marquer. Au fer, à la cicatrice qui laissera le souvenir.
- Toute la procédure criminelle doit rester secrète. Jusqu’à la sentence. L’accusé lui même n’a pas accès aux éléments de l’enquête, de savoir qui l’avait dénoncé. Mais si la procédure était secrète, elle suivait des règles rigoureuses. Basées sur des preuves, de différentes natures. Des preuves directes et légitimes ( des témoignages par exemple ), dse preuves indirectes ( des arguments ). Selon les preuves, la condamnation peut s’opérer. Les preuves s’additionnent, deux preuves semi-pleines peuvent faire une preuve complète. L’aveu constitue une preuve supplémentaire, complémentaire aux informations secrètes.
- La différence notable de cette justice est qu’elle n’est pas binaire. L’inculpé n’est pas coupable ou pas. Il y a un degré de culpabilité, et en fonction de ce degré, un degré de punition. Le suspect doit toujours être châtié, on ne pouvait jamais être complètement innocent, quand on fait l’objet d’une suspicion. Il sera toujours partiellement puni.
Le corps doit porter en plein jour sa condamnation.
Le corps qui a été déjà torturé, par la question et faire avouer réapparait, au moment de l’exécution de la sentence.
La sentence est « publiée ». Le condamné est montré, exposé sur les places publiques, dans des longues marches où chacun peut assister, cracher sur le condamné.
Au XVIIIème siècle, cette exposition publique prend plusieurs aspects.
- Le condamné proclame sa propre sentence : dans la promenade dans les rues, ou autour du coup, un écriteau décrit le crime et sa punition.
- le condamné se doit d’avouer une seconde fois, publiquement. Le condamné peut demander un répit pour faire de nouvelles révélations. Le travail de la question se poursuit sous les yeux du public.
- Inscrire le condamné là où le crime s’est produit. Exécution là où a eu lieu le crime. En 1772, une servante de Cambrai qui a tué sa maîtresse verra sa potence au pied de laquelle sera mis le même fauteuil dans lequel était assise sa maîtresse. Et on lui coupera le point avec le même couperet qu’elle a utilisé.
- la lenteur du supplice , les cris du supplicié et ses souffrances procèdent à l’établissement de la vérité. Celui-ci culmine avec la justice des hommes de celui de Dieu. Dans l’agonie, il faut sauver son âme. dans cet enfer, la résignation, la promesse du pardon divin sont possibles.
Un rituel politique.
L’infraction est une violation de la loi, portée par le prince. C’est donc une atteinte au roi, au souverain.
Ce n’est pas qu’une atteinte à la loi, mais une attaque contre le souverain.
Le châtiment ne peut qu’être un acte de réparation du dommage. Il doit être la punition du prince, sa vengeance.
Le supplice est ainsi un cérémonial pour rétablir la souveraineté malmenée.
C’est le moment visible où le souverain peut montrer au public qui assiste sa force supérieure, ultime. LA cérémonie doit terroriser le public. Voilà pourquoi la cruauté est tellle : elle doit s’inscrire dans le coeur des hommes.
Le cérémonial est à la fois judiciare et militaire : les officiers représentant le souverain participent aux modalités opératoires.
Au delà de l’oeuvre de justice, c’est une manifestation de force.
C’est le bourreau qui s’en chargera. Avec boucherie, retirant foie, rate dans le ventre du condamné mort, et l’exposant au public présent.
Le régicide est le crime le plus total, et celui qui sera le plus cruel.
Ainsi en 1584, l’assassin de Guillaume d’Orange subit :
« le premier jour, il fut mené sur la place où il trouva une chaudière d’eau chaude toute bouillante, en laquelle fut enfoncé le bras dont il avait fait le coup. Le lendemain, le bras lui fut coupé, lequel étant tombé à ses pieds tout constamment, le poussa du pied, du haut en bas de l’échaffaud ; le troisième il fut tenaillé par devant aux mamelles et devant du bras ; le quatrième il fut de même tenaillé par derrière aux bras et aux fesses ; et ainsi consécutivement cet homme fut martyrisé l’espace de 18 jours. » . Le dernier, il fut roué et mailloté. Au bout de six heures, il demandait encore de l’eau qu’on ne lui donna pas. Enfin le lieutenant fut prié de le faire parachever et étrangler.
( Brantôme, Mémoires, la vue des hommes illustres », 1722 ).
L’atrocité des supplices était l’occasion au prince de montrer à toute puissance.
Les soulèvements populaires, le grondement de la population lors des famines nécessitent de faire peur au peuple, le faire taire. A l’atrocité du crime, le souverain répond par l’atrocité du supplice.
La fin de l’histoire du supplice

Le supplice était un spectacle. Dans les villes, les villages, le condamne sur l’échafaud doit être vu.
Sa sentence vécue par la folie, dans l’horreur du supplice.
Avant même le rituel du supplice, les méfaits du condamnés étaient publiés. On arborait le condamné avant, pour rendre visible le spectacle annoncé. Les forçats au collier, avec le boulet au pied suivaient la route, sur laquelle la foule hurlait, injuriait les condamnés.
Cette longue exposition sur les routes sera abolie en avril 1848.
Quant au bagnard qui prenait la route à travers toute la France, de Brest à Toulon, il ne sera plus enchaîné et traîné sur les routes en 1837. On utilisera des fourgons cellulaires.
Petit à petit, l’exécution publique s’éteindra. Le spectacle de la sauvagerie entretenait la violence, d’accoutumer les spectateurs à la fureur ; ce dont pourtant on voulait éviter et détourner.
Le supplicié devenait une victime de la barbarie. On pouvait être pris de pitié ou d’admiration.
La fin du spectacle public.
La punition deviendra cachée, dans le processus pénal.
C’est la condamnation qui doit marquer le délinquant du signe négatif. On rendra public les débats qui ont mené à la sentence. L’exécution, elle, ne doit plus être visible. C’est la face cachée et honteuse de la justice.
L’exécution tend à devenir séparée de l’acte de justice.
La justice s’en décharge. Et on remarquera que l’administration des prisons a longtemps été sous la tutelle du ministère de l’intérieur, et non de la justice.
La fin du corps meurtri.
La disparition des supplices, c’est aussi la fin de l’emprise sur le corps. Le supplice déchirait le corps, muscles du condamné étirés par des chevaux jusqu’au démembrement. Ou sur une roue.
La marque est l’empreinte du châtiment physiquement sur le corps.
Elle sera abolie en France en 1832, et en 1834 en Angleterre.
Le fouet perdurera un peu plus longtemps.
La fin des supplices, c’est donc de ne plus toucher au corps, ou du moins le moins possible. Bien sur le bagne, les travaux forcés continueront à porter le corps physique dans la violence.
Mais à la différence, le corps est plutôt mis dans la privation, plutôt qu’une torture sauvage.
L’exécution doit atteindre plus la vie que le corps.
La technique du châtiment évolue : le système de pendaison et plus tard la guillotine. La sentence dure le temps du coup de la lame de métal qui tranche la tête.
L’article 3 du code français de 1791 inscrit ainsi : « tout condamné à mort aura la tête tranchée « .
La disparition du spectacle et de la souffrance sur le corps s’est faite progressivement. La volonté de faire souffrir le corps physiquement est toujours présente dans l’argumentaire face au système pénitencier. La critique ,déjà dans la première moitié du XIX siècle , : la prison n’est pas assez punitive. Les prisonniers ont moins froid, moins faim quel les pauvres.
Diminuer la souffrance physique, donc comment change l’exécution ? Ce n’est plus le corps qui devient le sujet de la punition. C’est sur l’âme.
Marly ( de la législation, œuvres complètes , 1789 ) formule ainsi : « Que le châtiment frappe l’âme plutôt que le corps ».
Et la punition sur le condamné de son âme, c’est la privation, lui retirer le droit fondamental de la liberté.
La psychologie du condamné caractérise la sévérité du crime.
L’âme du condamné, du délinquant devient un sujet qui entre dans la caractérisation du crime.
La vie du criminel, son enfance, son comportement, les circonstances deviennent un élément clé dans la définition de la sentence. Ce n’est pas que le crime en tant que tel qui est jugé et mesure. C’est l’individu dans son ensemble.
Son comportement même dans l’exécution de la sentence ( la durée de l’emprisonnement), influera la durée de l’emprisonnment.
L’âme du prisonnier est jaugé pour la prendre en charge dans la punition.
L’expertise psychiatrique permettra de comprendre l’acte.
Michel Foucault :
« Depuis 150 ou 200 ans que l’Europe a mis en place ses nouveaux systèmes de pénalité, les juges, peu à peu, mais par un processus qui remonte fort loin, se sont donc mis à juger autre chose que les crimes : l’âme des criminels ».
Et le juge n’est plus le seul à « juger ». La folie est une circonstance qui permet d’annihiler la condamnation. Experts, psychiatres entoureront la machine judiciaire.
Les experts répondront aux questions : « l’inculpé présente il un état de danger ? Est il accessible à la sanction pénale ? est il curable ou réadaptable ? ».
Ainsi, depuis le nouveau système pénal, défini au XVIIIeme et XIXe siècle, le jugement ne se fait que sur le crime, mais sur le comportement. Et il se complète d’autres instances que le juge seul.
A lire prochainement la suite de cette histoire du châtiment, de la surveillance. sur ce blog. Notamment sur les formes modernes de la surveillance. Une certaine panoptique… N’hésitez à vous abonner !
Crédit photo : Des hommes, d’Alice Odiot et Jean-Robert Viallet Unité de production
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