L’insulte est une expression, ou un acte dégradant.
Elle n’est jamais neutre. Même si le gros mot peut faire sourire, lorsqu’il est formulé avec humour.
L’insulte est une vraie agression ( un acte « performatoire » ), qui détruit le réel de celui qui est insulté.
Même la blague ou le « mot d’esprit » qu’on envoie à une femme, un noir, un musulman, ou un homosexuel.
Devant les préjugés de la société, et pour éviter l’insulte, .
Voilà le sujet, à découvrir ici !
Le gros mot.
Le gros mot est le mot qu’on ne doit pas prononcer quand on est gamin.
L’enfant comprend qu’il y a des mots qu’on ne peut dire.
Et dans sa construction, il en use.
Car il comprend que c’est un acte de transgression.
Le rôle des parents est bien de punir ces gros mots, et de poser les limites à l’enfant de ce qu’il peut dire, ou pas.
C’est l’apprentissage des limites, que cherche l’enfant continuellement.
Plus insidieux, dans la gradation de l’insulte :
Le mot d’esprit, ou la blague.
L’insulte est dénonçable, interdite lorsqu’elle emploie des mots crus, dégradants.
( rappelons notamment que l’insulte par exemple vis à vis des fonctionnaires de l’état est considéré, et puni comme « outrage » à agent ).
La définition de l’insulte est bien : une parole, ou un acte dégradant.
Peu importe la violence des mots.
Et pas forcément des mots crus ( « salope, pédé, bougnoule, .. ») mais tout ce qui a ce caractère offensif.
Aussi, la blague, qui véhicule une caricature ( sur les juifs, les femmes, les noirs ) est tout autant une insulte.
Comme le « mot d’esprit ».
Freud définit ainsi le mot d’esprit ( et par extension la blague) comme une sorte d’exécutoire pour les pulsions hostiles.
Le mot d’esprit est une « allusion » à une insulte non dite qui en constitue l’arrière plan.
[ Sigmund Freud, Sur la psychanalyse, cinq conférences, Paris, Gallimard 1991 ]
L’exemple criant sur les blagues de mauvais goût, notamment véhiculée aujourd’hui sur les réseaux sociaux, tel Facebook.
Une député UMP, Claudine Declerck, a partagé sur Facebook l’ image raciste ci-contre, à propos d’un ministre de la République, Mme Taubira. Elle pensait qu’il ne s’agissait que de l’humour. [ novembre 2013 ].
Elle a été exclue de son parti. Démocratiquement, l’humour est bien considéré ici comme une « allusion » à une insulte non-dite, comme le précise Freud.
Les stigmatisés, l’auto-censure, ou le silence des insultés.
L’individu qui présente aux yeux des autres une caractéristique différente de la norme est stigmatisé, dans les interactions avec les autres.
C’est la définition que Goffman, sociologue, donne dans son ouvrage Stigmate [ Stigmate, 1963 ].
Cette stigmatisation s’appuie sur une différence :
visible ( la couleur de la peau, le sexe féminin , l’handicap, l’âge )
ou invisible ( une religion, la sexualité, la condition sociale, être ancien détenu, au chômage… ).
Goffman parle ainsi d’individus « discrédités » ( visibles ) ou « discréditables » ( non visibles ).
Tout le monde peut à moment ou à un autre être stigmatisé :
Pourvu qu’on s’éloigne de l’image du « jeune père de famille marié blanc, citadin, nordique, hétérosexuel, protestant, diplômé d’université, employé à temps plein, en bonne santé, d’un bon poids, d’une taille suffisante et pratiquant un sport » ( pour reprendre l’idéal américain, selon Goffman ).
Dans une société où on joue un rôle, avec les autres, pour bien réussir le théâtre de la vie et de la communication interactive, il faut cacher ces stigmates.
Ce que Goffman nomme la « façade personnelle » : ne pas faire de fausse note.
Pour le stigmatisé visible, l’individu ne peut tricher : sa différence se voit.
Là tous les subterfuges sont possibles : provoquer ; s’excuser à l’avance de sa différence ( « excusez moi, je n’ai pas tout compris : je suis de condition modeste » ). Il s’agit de techniques de protection.
Pour le stigmate invisible, il est de bon ton d’éviter la « fausse note » en public.
Et de cacher ce que l’on est.
Voilà pourquoi, comme le décrit Didier Eribon, dans [ Réflexion sur la question gay, Fayard 1999 ], l’homosexuel restera muet, et pire :
L’homosexuel qui veut cacher qu’il est « pédé », ou dont on sait qu’il est mais qui tient à donner des gages de sa normalité, rira avec ceux qui lancent des plaisanteries douteuses ou grossières sur les « pédales ».
Autre exemple : le sexisme.
Pour ne pas contrarier le sexisme ordinaire, certaines femmes tendent à se dévaloriser naturellement.
Goffman prend l’exemple des collégiennes américaines :
les collégiennes américaines ne faisaient pas d’étalage, et sans doute ne le font elles pas davantage aujourd’hui, de leur intelligence, de leurs talents, de leur esprit de décision, lorsqu’elles se trouvaient en compagnie de garçons qui leur faisaient la cour. […] elles cachent leur force en mathématique ; elles se laissent battre in extremis au ping-pong ; grâce à diverse subterfuges, la supériorité naturelle des garçons se trouve démontrée et l’infériorité du sexe faible confirmée »
Voilà de l’auto-censure, pour éviter l’insulte.
On comprend bien que le cercle est vicieux :
le comportement des stigmatisés, poursuivant le désir d’être intégré dans la société, renforce les préjugés, les caricatures qu’on véhicule à leur sujet.
Le mouvement #MeToo
La bonne nouvelle, dans un siècle qui remet les « stigmatisés » sur la scène, c’est que la parole se libère.
Le mouvement #MeToo est un mouvement de réaction des stigmatisés. Qui longtemps ont choisi le silence pour les raisons que vous avez lu.
A la lecture du ce que Goffman exprimait, le silence a fait loi. Et aujourd’hui, beaucoup de détracteurs salissent encore la parole des victimes ; lorsqu’elles s’expriment 10 ou 20 ans après.
C’est un long chemin.
Pourquoi protéger les prédateurs en permanence, et nier la parole des victimes ?
On comprend mieux les dégats que font les « moralistes », ceux qui s’intérrogent par exemple du cas de Polanski, condamné pour des actes pédophiles. En s’interrogeant : Pourquoi maintenant ?
Parce que la stigmatisation ( au sens littéral, une plaie ) est une douleur, une plaie, qu’on tente de soigner. Le symptôme, avant la cause. Car la cause est plus difficile à conjuguer.
L’exemple de Polanski.
Roman Polanski a agressé sexuellement de nombreuses filles. Il a été condamné par les Etats Unis à de la prison. Plutôt que de purger sa peine, et faire preuve de concrition, Roman Polanski se défend en indiquant que violer des filles de moins de 18 ans aux Etats Unis, c’est une loi américaine pas très gentille.
Sans aucune conscience des méfaits.
L’insulte de groupe.
l’effet de foule, de groupe, et la position de force sont souvent associées à la potentialité de l’insulte.
Le nombre :
Il n’est pas possible pour un raciste tout seul d’insulter un groupe de personnes noires.
Il parait évident que c’est la position inférieure en nombre qui permet d’être soumis à l’insulte.
Ce rapport de groupe est important, car de facto, il permet de s’en prendre à n’importe quelle minorité, ou personne différente.
L’effet de foule :
Dans un groupe ( un stade de football par exemple ), le fait d’être plusieurs incite et rend légitime une insulte qui n’aurait pas été faite par un seul individu.
Dans un stade de football par exemple, insulter l’arbitre de « enculé » est possible en nombre, poussé par les autres spectateurs.
C’est le groupe en entier qui s’exprime et non plus soi individuellement.
Tout est alors possible. Il ne viendrait pas à un seul individu d’insulter individuellement l’arbitre.
La caractéristique de la foule est qu’elle est une forme de régression.
Ce que Freud évoque, ici :
Les foules humaines nous montrent l’image familière d’un individu surpuissant, au sein d’une bande de compagnons égaux, image également contenue dans notre représentation de la horde originaire. La psychologie de cette foule : disparition de la personnalité individuelle consciente, orientation des pensées et des sentiments dans des directions identiques, prédominance de l’affectivité et du psychisme inconscient, tendance à la réalisation immédiate de desseins qui surgissent ; tout cela correspond à un état de régression et une activité psychique primitive.
[ Freud, Psychologie des foules et analyse du moi, in Essais de Psychanalyse. ]
Comment éviter l’insulte ?
Casser le groupe.
Dans ces circonstances, que l’on soit dans le groupe offensant ( par inclusion, sans l’avoir demandé ), ou celui qui est offensé individuellement, la technique à suivre est la suivante :
Prendre individuellement un des acteurs présents ( celui qu’on préssent comme plutôt défavorable à l’insulte ) et lui demander s’il cautionne l’insulte.
C’est l’expérience de Asch, qu’on visualisera par l’expérience, pleine d’enseignement : l’expérience Asch ou le groupe décide pour toi.
L’insulte comme acte performatoire.
Le langage a le pouvoir de changer le monde : c’est ce qu’Austin a vulgarisé par la formule « quand dire, c’est faire« .
Quand je dis « je lègue ma fortune à mon épouse », il s’agit bien de changer l’état du monde :
je donne tous mes avoirs à mon épouse.
Il s’agit bien d’une action en tant que telle qu’une description du monde.
Austin sépare ainsi le constatatif ( la description du monde, qui peut être vraie ou fausse ) du performatif ( l’exécution d’une action par mes mots ).
De la même manière, et effectivement, insulter c’est modifier l’état de celui qu’on a insulté.
Celui ci se sent dégradé, honteux.
Il peut rougir, pleurer, ou se mettre en colère ; avant de réagir.
L’insulte produit un monde coercitif, de rejet, de honte, de malaise pour celui qui se fait insulté.
Il s’agit bien d’une action sur le monde : il est modifié au moment où l’insulte est prononcée.
Il n’y a pas d’alternative à la sentence.
L’impératif, d’ailleurs, est la structure grammaticale qui ne permet aucune alternative.
Celui qui insulte ne fait pas une proposition, ou un constat.
Il ordonne en quelque sorte un état de fait.
On pourra remarquer que l’insulte est souvent fausse, mais l’impératif qu’elle utilise ne permet pas l’analyse.
Action – Réaction : C’est en cela que l’insulte est terrible.
Elle ne permet pas de réfléchir, de s’interroger. Elle ne permet que la réaction.
En synthèse, l’insulte a de multiples formes ( du gros mot, à la blague, le mot d’esprit ).
Celui qui est insulté a intériorisé ce fait.
C’est une vraie agression ( les mots ont un pouvoir).
Et l’insulté trouve les défenses nécessaires. Par le silence, souvent.
Pour ne pas faire ou éviter de « fausse note ».
En face, le groupe , la société qui a trouvé ses bouc-émissaires est puissant, lorsqu’il est bloc, et en « transe » face à l’individu.
L’insulte peut rapidement être déstructurée, car les préjugés, les formes de rejet sont généralement dénoncées individuellement.
Vigilance ! La blague entre collègues n’est pas anodine !
Textes relatifs :
On lira :
- l’article sur Goffman : « la vie est un théatre selon Goffman«
- l’expérience sur l’effet de groupe : « L’expérience Asch : le groupe décide pour toi«
- le langage comme acte : « Austin, Quand dire c’est faire« .
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