Ray Birdwhistell est un anthropologue américain , qui a étudié et formalisé la kinésique, ou le langage du corps.
Comme pour les phonèmes ( éléments sonores distinctifs et atomiques ), dans le langage verbal, il propose les « kinèmes », relatifs aux gestes du corps.
Il formalisera 50 kinèmes, ou positions du corps.
Il est devenu courant de considérer que le langage ne passe pas que par la parole.
Mais par tous les gestes autour, ou intonation de la voix, mimiques..
Les formations en communication relèvent ce point. C’est la communication expressive.
Albert Mehrabian établit d’ailleurs une règle des 7 % – 38 % – 55 % :
7 % de la communication est verbale, 38 % de la communication est vocale, et 55 % de la communication est visuelle.
Plusieurs conceptions de la communication s’entrecroisent donc.
Birdwhistell va au-delà et propose une définition de la communication plus large.
A lire !
Au delà du langage du corps, Birdwhistell : la séparation du corps et de l’esprit.
La communication, comme elle est souvent apprise et enseignée, est celle du modèle du télégraphe :
le sujet envoie un message vers son destinataire.
C’est la communication représentative. Elle use du cerveau, du langage verbale, des mots.
C’est le règne de l’esprit.
La pensée humaine, jusqu’au XIXème siècle était la partie noble du corps, loin des instincts de l’animal.
Les sens, les émotions sont à proscrire. Communiquer, c’est user de son cerveau.
La communication est alors claire, rationnelle, loin de l’expression illogique. La connaissance passe par les mots.
A la différence, l’expression est non-verbale : c’est le « langage du corps ».
Récemment, le rapport vérité ( de la pensée et de la connaissance ) / mensonge ( des instincts, des mauvais sentiments ) s’est inversé.
Le non verbal est devenu plus honnête que le verbal : l’animal est moins fourbe ou malhonnête que l’homme.
Mais peu importe, cette séparation n’a pas lieu d’être pour Birdwhistell :
Il ne faut pas opposer la parole au corps, mais concevoir le comportement global de l’individu comme un « courant communicationnel« .
Kesako ?
Qu’est ce que la communication ? la culture en actes.
La communication comme processus culturel.
La communication, n’est pas seulement représentative ( verbale et échanges de mots ) ou expressive ( une communication non verbale par les comportements, les gestes ), elle est un système ( un processus ) plus large, et culturel.
« La communication pourrait être considérée comme l’aspect actif de la structure culturelle ».
« L’idée que la culture et la communication sont des termes qui représentent deux points de vue ou deux méthodes de représentation de l’interrelation humaine, structurée et régulière. Dans « culture », l’aspect est mis sur la structure. Dans « communication », sur le processus.
La communication serait ainsi une instanciation, un exemple, une mise en pratique immédiate de la culture, des schémas structurels de la culture.
Pour bien comprendre, lecteurs curieux :
Birdwhistell prend l’exemple très pragmatique du téléphone dans le dortoir endormi des étudiants, dans les universités américaines.
L’exemple du téléphone qui ne sonne pas devient bruyant.
« Tout étudiant qui a jamais attendu un coup de fil dans son dortoir le vendredi soir sait combien un téléphone silencieux peut être bruyant ».
Dans la conception de la communication usuelle que nous avons, communiquer c’est émettre des messages, intentionnels, et verbaux.
Mais dans un dortoir de garçons, où l’attente d’un coup de fil pour le rendez vous ( le dating, en Amérique ) est cruciale :
« le téléphone qui ne sonne pas est un message effectif« . [ Birdwhistell, 1974 ].
Dans l’institution culturelle américaine, tout étudiant s’attend donc à ce que son téléphone sonne, au plus tard le vendredi soir.
Si le téléphone ne sonne pas, c’est aussi un message terrible : « personne ne m’aime ».
L’attente et le jeu autour de l’invitation est une pratique culturelle américaine, dans les milieux de l’université.
Il s’agit ici d’un « pattern » / concept culturel, qui assure une certaine régularité, un moment de la vie de la société.
Le téléphone qui ne sonne pas est une faille dans ce système prévisible de la vie d’étudiant.
La communication, chez Birdwhistell ne se résume donc pas au message, ni même à l’échange, ou l’intéraction.
Il inclut également le système culturel, le contexte, qui rend les événements ( comme le téléphone qui ne sonne pas ) comme une valeur informative à part entière.
Une culture en acte.
La masse d’information échangée aussi nulle que les impuretés d’un savon.
Comme l’indique Yves Winkin [ Anthropologie de la communication, 2001 ] :
« Pour Birdwhistell, « la quantité d’information réellement nouvelle au cours d’une journée est probablement moins important que la masse d’impuretés dans une savonnette Ivory ».
Ce qui l’intéresse avant tout c’est l’ensemble des modes par lesquels la communication intégrationnelle (intégrative) s’accomplit.
La parole y intervient sans doute, mais c’est avant tout les moyens non lexicaux qui s’y déploient, en se confirmant ( ou infirmant ) mutuellement pour assurer la stabilité, la régularité, la prévisibilité du système ».
Le système de communication nous dépasse tous.
En résumé :
la communication est bien l’échange d’intéractions de messages verbaux, ou non verbaux ( le langage du corps ).
Mais plus largement la communication est une empreinte, un moment présent d’un système culturel.
La communication intègre nos échanges, intéractions, mais se posent dans un contexte, un flux qui nous dépasse, celui de notre société, une culture, où chacun y met son empreinte, de manière aléatoire, binaire, et à un moment donné.
Cette définition de la communication, loin des schémas traditionnels, doit nourrir notre réflexion :
Ne sommes-nous que des électrons libres communicants, intégrés dans une masse plus difforme, celle d’une société de communication.
Où l’on peut laisser trace. Dans notre monde réel, ou numérique !
A suivre …
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