Quel rapport entre logos, avatars sur internet, et les stèles chinoises, vieilles de plusieurs millénaires ?
Une trace, un idéogramme.
Un symbole graphique représentant un mot ou une idée.
Loin du texte, les icones sur le bureau ( originellement sur les ordinateurs Apple Macintosh ) sont les traces visibles immédiatement, permettant de maîtriser un signe, une idée ( par exemple, la corbeille ), une action.
S’intéresser aux stèles, c’est plonger dans l’histoire des signes.
Et de rapprocher notre monde si rapide, si fluctuant avec le monde du silence, celui de la stèle, orientée au Nord.
Qui a encore toute son expression.
Victor Segalen [ 1878 – 1919 ], médecin de la marine, voyageur et grand défricheur de signes, a écrit les plus beaux textes sur les stèles chinoises.
Il en a écrit un recueil de poésie. [ Stèles, 1973 ].
Il met en lumière de manière poétique et scientifique les stèles chinoises, sous l’ère des Han.
La stèle est un monument commémoratif, géographique.
Il est à la fois signe et symbole.
Signe, car elle est un objet signifiant qui est porté par la pierre. Sans la pierre, point de stèle, ou de message.
Symbole, car la stèle représente de façon formelle une idée, un moment ( la mort, un évènement ).
« Les stèles sont des monuments restreints à une table de pierre, haut dressée, portant une inscription.
Elles inscrustent dans le ciel de Chine leurs fronts plats.
On les heurte à l’improviste : aux bords des routes, dans les cours des temples, devant les tombeaux.
Marquant un fait, une volonté, une présence, elles forcent à l’arrêt debout, face à leurs faces. Dans le vacillement délabré de l’Empire, elles seules impliquent la stabilité ».
Définitions de la stèle.
« Sous les Han, voici deux mille années, pour inhumer un cercueil, on dressait à chaque bout de la fosse de larges pièces de bois. Percées en plein milieu d’un trou rond, aux bords émoussés, elles superposaient les pivots du treuil d’où pendant le mort. Ces appuis de bois se nommaient Stèles. »
Mille ans avant les Han, sous les Tcheou, on usait déjà du mot « stèle ». Il était un poteau de pierre, sur lequel on accrochait une victime, dont le Prince décidait la mort.
« C’était donc un arrêt, le premier dans la cérémonie [du prince]. Toute la foule en marche venait buter là. Tous les pas encore aujourd’hui s’arrêtent aujourd’hui devant la Stèle seule immobile du cortège incessant que mènent les palais aux toits nomades ».
Le signe, maintenant, à jamais, gravé.
La stèle est un objet médiologique par excellence, c’est à dire, qu’il permet la transmission de la pensée.
La signification de ces messages, même s’ils doivent être expliqués, est toujours présente.
Plusieurs milliers d’année après.
Résister au temps, lent, millénaire, voilà ce que Régis Debray souligne dans ses cours de médiologie : la transmission de la pensée nécessite du temps. Et la stèle, par sa fabrication, est toujours là.
Loin des brouhahas numériques, la stèle résiste au temps, car elle s’inscrit tout simplement dans un matériau, la pierre.
Plus largement , tous les monuments conservent cette insolence, face au temps. Elles inscrivent la parole universelle.
Et à l’enfant qui visite ces lieux avec ses parents de s’intéresser avec curiosité au sens, véhiculé.
Les idéogrammes.
Les stèles chinoises sont souvent agrémentées d’idéogrammes.
Les idéogrammes ( symbole graphique représentant un mot ou une idée utilisé dans certaines langues vivantes [ Wikipedia ] ) incrustés dans la pierre résistent au temps.
Les idéogrammes chinois ont une beauté visuelle, faite du mouvement du geste du pinceau ( ou burin pour la pierre ).
Ils ont valeur intemporelle, loin de nos idéogrammes numériques, volatiles, dissous sur la toile, sans lieu.
Ces idéogrammes sont inscrits dans un lieu ( autour d’un temple, d’un chemin ). Et ne bougent pas.
« Sitôt incrustés dans la table, qu’ils pénètrent d’intelligence, les caractères, les voici, dépouillant les formes de la mouvante intelligence humaine ; devenus pensée de la pierre dont il prennent le grain. Il ne réclament point la voie ou la musique. Ils méprisent les tons changeants et les syllabes qui les affublent au hasard des provinces. Ils n’expriment pas ; ils signifient ; ils sont ».
OK, et donc, quel rapport avec notre modernité ?
Trouver les signes irrésistibles, qui sont les points de repère, le phare, qui nous donnent le chemin est primordial, dans un monde en mouvement.
- la réalité augmentée :
La stèle décrite par Victor Segalen a sa vision moderne, celle des bornes Michelin. Stèles géographiques, balisant le territoire français. Sans balise, et sans borne de pierre, point de repères pour le voyageur. On lira « Michelin ou la réalité augmentée en 1910 »
- l’ancherman :
l’homme ancre, soit littéralement le présentateur de télévision en américain est celui qui doit donner sens. Ancre, comme la stèle est l’objet qui pèse, qui pose.
On lira ainsi cet article provocateur ? , du journalisme rassurant, et ancré dans la vie de nos régions : [ Jean Pierre Pernaut, ou éloge du journal de JP Pernaut ].
- la réconciliation de l’immédiat , de l’analogique et du digital :
Comme le souligne Daniel Bougnoux [ Sciences de l’information et de la communication, 1993 ], dans l’idéogramme, « les deux valeurs du graphein grec, écrire et peindre, n’ont pas encore divorcé : une relation analogique ( en rapport avec le geste physique du pinceau ) attache le mot à la chose qu’il désigne. »
Le geste physique est gravé dans le marbre.
A posteriori, on trouve dans l’idéogramme le mouvement de celui qui a écrit.
C’est ce geste qu’il faut retrouver, car il renvoie à nos usages aujourd’hui : au delà du message, retrouver l’immédiat, le spontané différemment. Mettre son empreinte.
- L’attachement du message et du lieu :
La stèle n’est jamais là par hasard, elle est ancrée dans un lieu. Ainsi, rappelons-le, un message a un contexte, un lieu.
Et n’est jamais une pure vue de l’esprit. Elle s’ancre dans notre monde de communication [ communication expressive ]
« Comme les dalles renversées ou les voûtes gravées dans la face invisible, les stèles proposent leurs signes à la terre qu’elles pressent d’un sceau. Ce sont les décrets d’un autre empire, et singulier.
On les subit ou on les récuse sans commentaires, ni gloses inutiles ; d’ailleurs sans confronter jamais le texte véritable : seulement les empreintes qu’on lui dérobe« .