La technologie est-elle neutre ?

Tracking sur internet, Intelligence artificielle, casque virtuel, Métaverse, voitures autonomes ; les nouvelles technologies envahissent notre monde humain.

Faut-il s’en méfier ?

Déjà, à l’arrivée d’internet, les apocalyptiques comme Jacques Séguéla, un des plus grands publicitaires Français, fustigeait : « Le Net est la plus grande saloperie qu’aient jamais inventée les hommes ! « .

A contrario, les géants numériques de la Silicon Valley nous promettent le graal d’une vie meilleure, grâce aux avancées spectaculaires des innovations numériques.

Les personnes plus mesurées indiquent que la technologie est « neutre » en soi. C’est l’usage, l’utilisation de cette technologie qui peut être bienveillante ou malveillante.

Est-ce vrai ?

Je vous propose les 4 arguments qui vous éclaireront..

Le postulat de neutralité.

« la technologie est neutre, son impact ne dépend au fond que du bon ou mauvais usage qu’on en fait ».

Voilà la formule des anthropologues, des scientifiques, des médiologues pour nous éclairer sur l’arrivée fulgurante de nouvelles technologies ; qui peuvent faire peur.

A cette formule, Alain Damasio, grand auteur de science-fiction, et fin analyste de notre monde contemporain, dans « La vallée du Silicium » rétorque :

la technologie est neutre, son impact ne dépend au fond que du bon ou mauvais usage qu’on en fait. C’est une idée courte, et même une idée stupide, quadruplement stupide »

Utiliser et choisir d’adopter une nouvelle technologie, en s’interrogeant si son usage est « bon » ou « mauvais » est un leurre. Influencer le choix de la technologie est vain.

1. L’usage biaisé par l’efficacité

La technologie n’est pas neutre. En effet, la technique porte en elle une valeur d’efficacité.

Prenons l’exemple : L’un des premiers outils de l’homme, dans notre civilisation est le silex.

Grâce au silex, les premiers humains, chasseurs-cueilleurs, ont pu réaliser différentes tâches : la découpe de la viande, la fracture des os pour accéder à la moelle osseuse,
la coupe du bois, l’ouverture des noix, le dépouillement des carcasses animales pour récupérer la peau. L’homme préhistorique peut réaliser ces tâches sans silex, mais de manière moins rapide. Le choix de son utilisation de cette technique n’a pas lieu d’être, car elle est tout simplement efficace.

Plus actuel, l’utilisation du GPS de son smartphone permet de trouver une destination, sans utiliser de carte géographique. Avec une plus grande efficacité que la lecture fastidieuse de la carte.

L’impact de l’utilisation du silex ou du GPS n’est pas « bon » ou « mauvais ». On peut utiliser le silex pour blesser quelqu’un.

A partir du moment où la technique est « efficace », elle broie la réflexion. Son efficacité rend inéquitable le choix.

Ainsi, la paresse naturelle de l’être humain penchera l’homme à déléguer ses actions à la machine..

Comme le souligne Alain Damasio :

Toute machine prédétermine l’utilisateur à faire de l’efficacité la valeur de son action, avant tout choix de sa part. Cette valeur a contaminé tous les domaines au point qu’un startup’eur se doit aujourd’hui d’être sur tous les plans professionnels, économiques, sportifs, performant.

2. La technologie planifiée

Puisque nous sommes presque 4 milliards de personnes sur Facebook, on peut considérer qu’on est assez pour changer le monde, tous ensemble.

Lutter contre la famine, la guerre ; grâce à la puissance de ce réseau numérique qui rassemble la planète entière… Et pourtant cela n’est pas le cas.

Pourquoi Meta ne réalise-t-il pas cette belle intention ?.

Car nous ne décidons pas de l’usage de la technique. Elle est déjà formatée, préparée, programmée, planifiée.

Historiquement, une nouvelle technique découlait de la recherche fondamentale. Une découverte scientifique, agnostique de la technique, permettait une meilleure connaissance du fonctionnement du monde. Ensuite, les industriels s’emparaient de la découverte pour y trouver une fonction utile.

La naissance de la Silicon Valley a changé au début du XXème siècle. L’innovation technologique se nourrit dès lors de chercheurs, industries, étudiants, et sociétés d’investissements ensemble. Avec un capital risk. ( on lira son histoire ici : petite histoire de la Silicon Valley )

La technique est déjà une pré-sélection des découvertes, produits et service. Et qu’on juge a-priori « utiles » car lucratifs.

Des millions d’innovations qui amélioreraient notre condition commune ne passeront jamais le seuil de la fabrication..

3. Les effets induits de la technologie.

Que la technique soit jugé « bonne » ou « mauvaise », la technique dans tous les cas induit des effets que l’homme ne peut anticiper.

Ces effets sont difficiles à anticiper. La géolocalisation par exemple sur nos portables n’avait pas été prévue. Ni l’intérêt et l’usage des SMS ; ces messages courts qui ont eu un succès inattendu. L’intelligence artificielle n’a pas été prévue pour générer des fakenews.

La technique reformate des comportements par les interactions nouvelles qu’elle offre. Ces interactions sociales, humaines intègrent donc toujours le mauvais et le bon des relations humaines : la technique est avant tout sociale.

Comme le souligne Deleuze :

 » La machine reste toujours sociale avant d’être technique « 

4. La technique formate notre rapport au monde.

Toute technologie porte un nouveau rapport au monde.

On est, pense-t-on, libre de l’utiliser ou pas. Comme celui d’acheter un réfrigérateur connecté.

Et pourtant, la machine situe notre liberté ; et notre liberté s’exerce face à elle.

La technique a déjà immergé tout notre monde social. Du téléphone d’antan au smartphone.. La déclaration des impôts n’est plus que digitalisé. De la réservation chez le dentiste qui ne devient plus possible que sur Doctolib. Humainement, la norme sociale impose d’être « toujours joignable »…

Notre libre arbitre qu’on pense détenir face à la technologie ne s’exerce plus que dans un espace restreint. Il s’exerce dans un monde où il devient impossible de se comporter comme si la technologie n’existait pas. Essayez de vivre dans un monde sans wifi.

Le choix ?

Pour terminer, citons François Jarrigue, dans « une technologie n’est jamais neutre » :

Internet a modifié beaucoup de chose. Dans les années 1980–1990, on a assisté à une réactivation de l’enthousiasme technologique avec l’idée que ces technologies offraient de nouveaux instruments de pouvoir. Un nouveau discours s’est développé – Internet redonnerait de l’autonomie aux acteurs – qui a contribué à réactiver l’argument de la neutralité de la technique. Bien sûr qu’un outil peut (presque) toujours faire l’objet d’usages différents, mais le numérique crée surtout un nouveau milieu, un nouvel espace de vie, il redéfinit le champ des possibles.

Le débat est un peu faussé : une technique n’est jamais neutre car elle redéfinit toujours les rapports sociaux. Il faut comprendre que ce thème de la neutralité s’est construit historiquement mais pose problème, il vise à empêcher toute réflexion réelle sur les choix techniques et les dispositifs techniques eux-mêmes pour renvoyer le débat à la question floue des usages…

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