Juillet 1989. Juillet 2020.
L’école est fermée.
La liberté m’est donnée.
Dehors, le monde des adultes est clos.
Je ne le connais pas. Pas trop.
Je suis assis, dans l’herbe.
Le soleil est présent, heureusement.
Le vent doucement met du mouvement.
La nature est belle, mais elle ne parle pas.
Seul au monde. En quelque sorte.
Ce n’est pas grave diraient nos grands écrivains, philosophes.
Sauf que je m’emmerde grave.
Et je suis pas bien.
J’ai besoin de parler, de vider mes neurones, mes pensées.
Un ami passe. Discussion.
Je me fais le plus gentil, le plus attentionné pour ne pas le perdre.
Sinon je repartirai seul. Avec l’herbe fraîche. Qui ne me parle pas.
J’ai peu d’amis. Et même pas d’amies.
Elles sont en vacances. J’ai loupé le coche. En même temps, elles ne m’attirent pas.
Alors je retrouve quelques instants un ami de passage.
Je n’ai pas d’amis.
Si, un seul qui a nourri ma vie. Il en suffit d’un seul.
Même si je suis pas d’accord sur ses idées, échanger titille mes neurones.
Le débat d’idée à l’heure de ma vie que j’imagine sublissime. Les potentiels que j’ai mais qui ne sont pas encore tangibles.
Le rêve est beau. Le fantasme aussi.
Se sentir bien à des moments particuliers.
Le vendredi soir en fait partie.
C’est le moment où mes parents partaient ailleurs. Et je me retrouvais seul dans la maison. Comme un adolescent qui avait les clefs des possibles. Inviter un ami ? Inviter des copines ? Inviter mon professeur de français pour qu’il me récite les textes essentiels d’une vie humaine ?
J’en ai jamais profité.
C’est la possibilité qui rend jouissif.
Le vendredi soir coupait un peu la monotonie de ces semaines de vacances.
Le vendredi soir, notamment, je le comprendrais plus tard, moi petit employé qui voit le potentiel du vendredi soir : la semaine de labeur est finie, et j’ai 2 jours qui suivront.
Et donc le vendredi soir est une pause existentielle : tout est possible le. Tout sera possible. Même si je ne ferai rien.
Et objectivement, je raterai ces occasions du week-end.
Adolescent, ce concept du week-end est étrange.
Le seul que je partagerai avec les adultes est plutôt celui du dimanche soir qui rappelle à chacun que la fête est finie le dimanche soir, comme l’écolier , et qu’il faut reprendre la réalité.
C’est universel.
La déroute du dimanche soir, adulte ou écolier est la même : la fête est finie.
Encore plus dure la réalité quand on n’a pas pas profité. Et mis à la machine à laver ses rêves du vendredi soir.
L’été est long. L’été est là.
Le soir, heureusement je retrouve un univers ouvert sur le monde.
Ma petite radio branchée sur France Inter.
Où j’étends parler des gens. Des histoires.
L’autre côté de ma chambre.
L’autre côté du monde.
Au Liban.
Avec des sons, des bruits de rue, du mouvement.
J’écoute, j’écris.
Comment désirer le lointain plutôt que le proche ?
Un peu trop médiocre , mon quotidien ?
Que faire quand on a pas la pêche à faire du sport… que faire quand on est ancré dans ses pensées d’adolescents ?
Le smartphone est smarphobe.
Il n’existe pas. Pas de téléphone. Pas d’internet.
Juste ce long trajet à la bibliothèque qui soulève des livres de désespoir.
Qui ne meut pas l’esprit.
Je rêverais d’un outil où je pourrais parler, échanger, partager, lire et picorer.
Dans le rêve que j’ai fait cette nuit, un ange m’a parlé du WEB.
Je ne sais pas ce que c’est.
Ce rêve fut une révélation , bien plus tard mais trop tard.
J’avais quitté mon âme d’adolescent.
Là je suis dans l’herbe.
Il y a une coccinelle sur la feuille.
C’est beau mais
Je m’ennuie.
Je me sens un petit atome qui bouge à toute vitesse ; dans sa tête.
Mais pas dans son corps.
La lenteur de l’été est effroyable.
Chaque minute passe.
Voilà 1989 est devenu 2020.
Tout à changé.
Presque.
Je crois à la permanence de l’humanité.
Et je désespère un peu découvrant le web qui était un rêve.
Et qui s’est dilaté dans un mouvement de basse cour. Loin de l’exigence dont je m’attendais.
Des échanges sur des réseaux sociaux qui sont a-sociaux.
Des réseaux qui vous enferment dans votre propre réseau. Et ne pas s’ouvrir ailleurs.
Mais je te vois, gentil adolescent. Toi qui sais trouver dans l’herbe verte et bête des réseaux sociaux ce même mouvement de voir différemment.
Pas sûr la radio le soir.
Mais sur le vaste monde numérique qui s’offre à toi. Où tu peux picorer. Apprendre, comprendre.
Et même échanger. Avec n’importe quel être humain sur la planète ; pourvu qu’il soit connecté.
Tu peux nourrir ta différence.
Tu peux dépasser ton professeur, si tu le veux.
Et en cet été, même si tu es cloisonné dans un endroit où l’herbe verte ne te parle pas, tu peux t’évader.
Et c’est la raison pourquoi tu me lis ce soir, j’espère.
Car je suis toujours là.
Pour toi.