Benjamin Bayart, spécialiste de l’internet ( et notamment de sa neutralité ) a trouvé une formule géniale et limpide,
pour résumer internet : « l’imprimerie a permis au peuple de lire, internet va lui permettre d’écrire« .
Et effectivement, les promesses de la société de l’information sont bien celles de l’autonomie et la facilité de l’usage d’internet pour écrire.
Mais force est de constater que les tablettes et les outils portables ont oublié une chose : celle de pouvoir écrire.
Michel Serres, dans son essai, sur la poucette, une nouvelle génération née avec le pouce numérique, a t-il oublié qu’il fallait 10 doigts pour écrire ?
La mutation d’internet vers le « one-click ou Two-words ».
L’enjeu de notre société de communication, qui succède à la société primaire, secondaire et tertiaire est celle de la communication.
Les promesses de cette société, résumée ici [ les 5 promesses de notre société de communication ] a effectivement apporté l’autonomie vis à vis de la technique et de notre rapport à la connaissance, la culture, la spiritualité :
aujourd’hui, composer une musique, un texte est largement possible par la facilité d’outils web 2.0 ( le blog, comme celui que j’utilise wordpress ) et de leur diffusion
( je poste et je suis visible partout, sur la terre entière, connectée sur le web ).
La grande jubilation s’estompe cependant aujourd’hui, pour plusieurs raisons.
L' »usage » ou le cercle vicieux.
Le grand principe qui guide tous les acteurs du web, et du marché des ordinateurs, et outils nomades est le sacro-saint « usage ».
Le client est roi.
Et de l’usage doit naître la réponse au besoin.
Dans la seule année 1995, par exemple, Sony a produit cinq mille produits nouveaux.
La plupart ont disparu très vite.
La plupart n’a pas trouvé d’usage. Exit !
A contrario, le succès d’Apple lorsqu’il a lancé son premier I-Phone était bien dû à l’usage :
les fonctionnalités avaient un intérêt, et le consommateur a donné son verdict.
Le cercle est cependant vicieux, car l’usage est également contraint par l’offre :
les constructeurs poussent évidemment des nouveautés sorties de laboratoires, qui incitent, via des campagnes marketing à influencer le client final.
Offrir un appareil tactile, qu’on peut toucher des doigts ( comme la poucette chère à Michel Serres ) plutôt qu’un clavier standard qui nous permet d’écrire vraiment.
De ce fait, l’usage est compliqué à appréhender :
la plupart des utilisateurs qui utilisent un ordinateur consultent le web, et partager des photographies.
En ce sens, pas besoin d’outil de traitement de texte.
Ni de clavier. Quelques clicks suffisent.
Donc on laissera à l’internaute la possibilité de lire et de clicker. Peu d’écrire.
L’outil médiologique dans la communication, l’usage du web est ici primordial.
Et Régis Debray, pourvoyeur d’un monde numérique immédiat, irréfléchi, froid, serait content.
L’internet a déjà une histoire : fécond et jubilatoire pour la production intellectuelle ( les blogs, la création ).
Internet est passé dans l’ère du « one-click« .
Je n’écris plus, je lis, je consomme, j’achète, et au mieux je dis ce que je pense.
Non pas en argumentant, mais en clickant sur ce bouton magique « I like ».
Symbolisé par un pouce, et subjugué.
On en revient au pouce dans les arènes grecques dans lesquelles le roi pointait son doigt vers le bas. Pour signifier : « arrêt de mort ». I not like.
( ce symbole n’existe pas sur Facebook, il n’est pas assez consensuel ).
La dérive d’internet et ses nouveaux paradigmes.
La dérive de notre internet fabuleux est celle-ci :
redevenir passif quant à un objet technique ( comme la télévision ) : je consulte , je lis, j’achète, je donne mon avis ( I like ).
Mais surtout je n’écris pas :
les constructeurs retirent cette possibilité petit à petit.
De plus en plus difficile de s’exprimer avec un clavier où l’on touche du « pouce » chaque lettre.
Redevenir passif quant à un usage : le web comme outil commercial de commande. ( les acteurs du web s’intéressent bien à cela : pousser du produit ; peu de culture ).
L’autonomie, la liberté de création peut se tarir, puisque produire nécessite des outils.
Et la disparition progressive des ordinateurs ( et du clavier ) déjà constatée rend de facto l’usage de l’autonomie chère à internet de plus en plus pauvre.
Twitter est le réseau social qui a imposé la réduction du message à communiquer en 140 caractères.
Beaucoup ont critiqué ce carcan. Il s’avère que dans l’usage, depuis 2009, le nombre de mots est passé de 8 en 2009 à 5 mots en 2012. [ Source : Les tweets raccourcissent depuis 2009 ]
La nouvelle donne : producteur / consommateur ?
Reparlons de Régis Debray : il a formalisé le concept de l’effet jogging.
Ou, devant une nouvelle technologie, on revient en arrière, par des pratiques ancestrales.
Et force de constater que Régis Debray est visionnaire.
L’usage d’internet re-devient un usage ancestral : celui des producteurs d’information, et ceux qui les consomment.
Le citoyen internaute autonome redevient le lecteur d’un monde qu’on lui soumet.
J’ai parlé de la disparition des ordinateurs, mais l’écriture numérique perdure.
Elle est donc laissée à ceux qui veulent ( ou peuvent ) l’utiliser : les journalistes web 2.0, les passionnés de l’écriture, les commerciaux, le monde de la consommation en règle générale.
Le XXIème siècle est le siècle de l’information et de sa maitrise.
L’internaute ( qui n’a au fond rien demandé ) se trouve propulsé à l’ère de l’imprimerie : je lis. Point.
La nouvelle poucette numérique, qui a 4 ans, a tout dans ses mains :
elle maîtrise la technologie, mais pas ce qui rend essentiel la vie humaine : s’exprimer.
Certes, en 140 caractères, sous Twitter.
Reste le blog.
En 2030, vous lirez encore ce blog.
Parce que peut être, si j’ai encore un clavier, je produirais.
Pas de la consommation. Mais des idées, what’s up ?
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