Vivre dans un catalogue Ikea

Page 23 est un excellent court-métrage, réalisé par le néerlandais Jeroen Houben, Tims Arts et Stefan van den Boogaard.

Il met en scène l’univers froid en angoissé d’un couple dans sa cuisine Ikea, derrière un semblant de bonheur parfait.

Le film a obtenu le lauréat du 48 Hour Film Project, d’Utrecht, dans plusieurs catégories ( Best Film and the Audience Award, Best Etiding Awaerd, Best actor Award, Best Art Direction, Best Use Of Line ).

Regardez, réagissez !

[ traduction : rut : s’encrouter ]

Sémiotique du film :

Comme toute oeuvre littéraire décortiquée en analyse lexicale et sémantique, le cinéma a son propre langage, et une sémiotique.

On lira ici ces aspects :

Un monde froid. Une maison à contre-emploi.

Le monde évoqué ici est angoissant : ce monde vide est suggéré par un décor minimaliste : une table, quelques verres. Aucune trace de vie, de désordre. Tout est lisse, aseptisé. Le design des meubles, droits, sobres.

Les couleurs sont blanc, ou bleu glacial., renforçant ce monde oppressant.
La superficialité de l’endroit est : on remarquera que le mari est assis sur le bord de la chaise, mal positionné devant son ordinateur, comme s’il n’était pas chez lui, qu’il jouait une scène, dans un salon étranger.

Le long temps réel et le temps numérique immédiat.

Le réalisateur emploie dans le film de longs travellings, et des temps de pause.
Notre monde d’aujourd’hui, technologique est un monde de vitesse. On peut être n’importe où en quelques clicks de souris, via la webcam, l’internet en règle générale. La communication s’est accélérée et devient immédiate.

Le courrier ( à J+1 ) est à S+1 ( seconde + 1 ) par le mail, le SMS, les réseaux sociaux.
Or le temps humain est plus long. Apprendre, réfléchir nécessite du temps, et en contradiction avec le monde de consommation où tout peut être acheté tout de suite ( moyennant finances ).
En opposition aux consumérisme ( l’achat de la tablette, du luminaire, des objets de la cuisine ), le réalisateur oppose le temps humain.
Les longs travellings évoquent par ailleurs les films, souvent nordiques, d’auteurs, dans lequel, les personnages sont en analyse existentielle.
La lenteur accentue l’ennui des personnages dans leur vie, vide de sens, mais pleine d’objets.

Les temps d’arrêt.

Les temps d’arrêt sont les seuls temps où le personnage se pose.

Cet arrêt sur image pourrait être un temps de réflexion, de pause. D’arrêter le cours du film, et de la vie pour prendre le recul. Et s’interroger sur son existence ( ce que fait un peu la compagne ). Cyniquement, les postures s’arrêtent souvent sur une grimace de l’acteur, pour faire mine que tout va bien, que je suis heureux. Angoisse de cette grimace qui nous suggère plutôt le malaise des protagonistes.

Les usages numériques du court-métrage.

Au delà de la dénonciation du cynisme de notre monde consumériste, le film dénonce également les travers de notre monde numérique.

– d’abord, il évoque l’égoisme. Chacun a son activité : l’homme vit dans sa bulle, et ne partage pas ses. Sa compagne a juste « volé » des informations quant à la relation virtuelle que son mari entretient.

– il dénonce les rapports faux ( fake ) : l’homme transparait dans sa vie numérique non comme il l’est ( il ne porte pas de lunettes normalement ). Vie numérique de mensonge.

– le procédé de la réalité augmentée :

Bien que le procédé de surimpression sur l’image des étiquettes-prix des produits existe dans la technique du cinéma, le procédé rappelle ce qu’on appelle la réalité augmentée. C’est à dire le mélange dans la scène réel ( la cuisine ), de données numériques ( data ) qui se juxtaposent.

La technique utilisée renforce la superficialité du monde vécu, en soulignant que tous les objets sont artificiels, ont un prix. Sont des objets binaires, sans âme.

La dimension phatique du court-métrage.

Le film pourrait se résumer comme un conte existentiel, où devant un monde froid, ennuyeux, superficiel, la femme tente un dialogue pour partager cet effroi.

Les seuls échanges communicationnels dans le couple se portent sur les objets, ce qu’il faut changer. Le discours est artificiel également. Mais il a pour but de conserver pour les deux un semblant de conversation, de partage. Et le seul liant qui semble leur rester est bien le sujet de la consommation. Ce qu’on pourrait appeler le langage phatique : maintenir coute que coute dans leur monde solitaire un semblant de communication de couple.

Le seul cri, humain est celui que pousse la compagne.

Ce cri « existentialiste » pourrait se rapprocher du cri, du norvégien Edvard Munch ( le cri ).

[ Page 23 ]

[ Texte relatif : le temps virtuellement délicieux ? ]

Le monde froid et un peu cynique, au delà des images, est à l’image de la société : le canard enchaîné , février 2012, révèle les agissements d’espionnage de la société contre ses salariés, et ses clients mécontents. Le journal Le canard Enchaîne, indépendant révèle la vraie vie d’un monde froid, méchant. Ou acheter sa cuisine ? …

2015, Ikea sort son nouveau catalogue « IKEA 2015 » fluide, froid et confortable. Une vision de notre monde familial ? A réfléchir !

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