Vers un désastre cognitif ?

Notre monde s’est lentement fondu dans la dérégulation d’un marché cognitif. L’information disponible tout le temps, partout.

Changeant notre perception du monde, aujourd’hui menée par le techno-libéralisme.

Dont nous sommes tous les victimes malgré nous…

A lire cette formidable transformation, et savoir c’est l’espoir !

Petit résumé du dernier siècle.

La fin du communisme, à la fin du XXème siècle. Le mur de Berlin écroulé, puis tous les états soumis à l’Etat Russe ont pu « enfin » faire croire à une fin de l’histoire des idées.

L’avènement de la démocratie libérale. Francis Fukuyama, dans « La fin de l’histoire et le dernier homme » ( 1989 ) écrit un essai le plus important du XXème siècle : L’arrivée du monopole de la démocratie. Tout en sachant que les soubresauts perdureraient. Et la guerre en Ukraine nous le rappelle, aujourd’hui . Et si notre civilisation avait une date de péremption ?

Aujourd’hui, il apparaît que des systèmes concurrents au monopole de la démocratie libérale prospèrent : société de marché autoritaire ( en Chine ), démocrature ( en Turquie, en Russie ), islam politique. Voire des modèles de décroissance.

Autre grand changement du XXIème siècle, dont nous parlons longuement dans cet article : la dérégulation du marché cognitif.

Masse d’information disponible. Chacun peut faire sa propre représentation du monde. Les experts historiques, légitimes dans le débat démocratique (  » les Gate Keeper » ) ont moins la voix à la parole.

C’est la conspiration : le doute sur les vaccins par exemple, le platisme ( « la terre est plate » ).

Tous ces soubresauts et les contradictions des modèles ne sont pas nouveaux.

Souvenons-nous du temps où on mettait au bûcher les intellectuels qui osaient remettre en question Dieu.

La différence était que cette contradiction d’idées était « adaptée ». Le philosophe, ou Copernic pouvait à la fois exprimer l’impensable ( « la terre n’est pas le centre de l’univers » ) en prenant une posture de scientifique ; et en même temps prendre sa casquette de « chrétien ».

On ménage le choux et la chèvre. On évite ainsi la « confrontation » pure et dure.

Celle que notre monde a exclu. C’est noir, ou blanc.

Ce qu’Alain de Libera, historien Français nomme la « scrhyzophrénie médiévale » ( 1991 ).

Le progrès scientifique et la croyance

Les progrès scientifiques ont déconstruit le modèle religieux.

Mettant à mal même les écritures millénaires : la Bible présente, dans la Génèse 1, 1-31 la Terre comme créée en 6 jours et vieille de 6000 ans ».

Le darwinisme, lui même décrié aujourd’hui, a permis de comprendre l’évolution de l’histoire humaine. Loin de l’histoire d’Adam et Eve…

Face aux faits vérifiés scientifiquement, nous avons 3 options :

  • Abandonner sa croyance et avouer que le livre sur lequel il fond sa foi est une mauvaise histoire.
  • Considérer que la théorie de Darwin est fausse. En mettant en contradiction certains faits de la théorie.

Quitte à interdire l’enseignement de cette théorie. Comme en Turquie, en 2017, les écoles retirent cet enseignement aux moins de 18 ans.

  • Choisir l’entre-deux : considérer que les deux idées ( religieuse et scientifiques ) ne sont qu’une fausse opposition.

Et qu’elles peuvent coexister. Chacune différente : l’idée religieuse serait une parabole, tandis que le fait scientifique explique.

C’est un grand pas que fait d’ailleurs Jean-Paul II, en 1996 indiquant :

La théorie de l’évolution est plus qu’une hypothèse.

Le pape propose un « dialogue confiant » entre l’église et la science. La bible serait une interprétation symbolique et non plus une « vérité »..

L’exemple du platisme.

« La terre est plate« . C’est la conviction de Mark Sargent.

Dont ses vidéos sont vues par plus d’un million de personnes sur You Tube.

Se dire platiste, c’est envoyer un signal au reste du monde : je suis le plus antisystème. Si la Terre n’est pas ronde, alors c’est qu’on nous a menti sur tout, et ce depuis l’école.

L’exemple du platisme est intéressante. Elle montre que si historiquement, les idées contradictoires ont toujours existé, aujourd’hui, la menace de représentations erronées s’accélère par 2 faits :

  • l’apogée de la technologie de l’information.

L’autonomie technique de Mark Sargent lui permet de créer des vidéos depuis sa chambre. Et le partager à des millions d’internautes.

  • La disponibilité de nos cerveaux.

La société du divertissement, sur TikTok, YouTube, nous est enfin proposée. Avec un temps de cerveau de plus en plus disponible. ( on lira ici mon billet : Votre temps arraché par les géants numériques )

Face à l’avalanche de faits contradictoires, on aboutit à une « libre concurrence » des idées. Toutes au même niveau.

Dans cette infobésité du monde ( l’information disponible à outrance ), c’est ce qui va rassurer, de manière simple, qu’on aura à tendance à accepter plus facilement..

Conjuguer ses peurs

Si les théories du complot ont un succès, c’est avant tout, car de manière simpliste, elles rassurent.

Les découvertes scientifiques, les lois de la nature ont fait gagner une sécurité matérielle. Galilée par exemple a cherché un langage universelle décrivant la nature, qui devait être les mathématiques. Connaître les lois de la nature ( comme la gravité par exemple ) ont permis à l’Homme de maîtriser le monde.

L’univers est ainsi expliqué. Nous avons gagné en sécurité matérielle. L’univers est ainsi expliqué par le « Comment ».

Par paresse, l’homme profite de la maîtrise du monde, en oubliant les lois de la nature qui les sous-tendent. Et plus grave, ces vérités scientifiques sont remises en cause.

Un comble : les pseudos complotistes utilisent la technologie qu’ils condamnent eux-même..

On oublie donc les lois fondamentales de l’univers, et comme l’indique Weber ( 1990 ) :

Autant le « sauvage » connaît ses outils, l’homme qui prend le tramway n’en sait rien.

Globalement, nous avons donc depuis des millénaires gagné en « sécurité matérielle », mais nous avons perdu en « sécurité cognitive ». Car l’univers n’est plus expliqué que par le « comment », et non plus par le « pourquoi ».

Et l’essence de l’Homme, c’est de conjurer ses peurs, face à l’incompréhension du monde.

La peur est bien un instinct grégaire de l’homme. C’est ce qui lui a permis de survivre, pour éviter le danger. L’adrénaline sécrétée par l’émotion de la peur donne la force à l’homme de réagir.. Et de se sauver de l’animal féroce..

Pour se rassurer, l’homme a besoin d’explication. Et si ces explications sont simples, elles sont mieux adoptées que les autres. Comme les théories du complot.

Les théories du complot, l’absence de réflexion, et la pauvreté de nos capacités cognitives répondent à un besoin d’explication simple. Et d’expliquer notre monde, coûte que coûte.

Raisonner demande effort. Aussi, l’homme est soumis naturellement à la facilité, dans le domaine de l’intelligence : le biais de division.

Face à un problème complexe, l’homme a tendance à tendance à le diviser en sous-problème.

C’est un biais cognitif qui biaise notre jugement. Certains discours tendent ainsi à nous conduire à des jugements erronés.

Gérald Bronner cite un exemple de ce biais de division, dans « La démocratie des crédules, PUF, 2013 ».

Ex. On présente sept équipes de football participant au prochain championnat de France. On demande à un groupe d’estimer le pourcentage de chances de chaque équipe d’être championne. Chez 82% des sondés, le total excède 100% : certains donnent 60% à l’OM en même temps qu’ils estiment les chances du PSG à 80%. « [Les sondés] avaient tenté de répondre en prenant les équipes “une à une”, “séparément” […] ils avaient estimé au cas par cas puis traduit en chiffres ces considérations qualitatives sans voir qu’en procédant ainsi, ils violaient les règles de calcul » (Bronner, p. 249).

Devant un monde droit, vidé de sens, c’est un monde traumatisant qui nous est offert. Hier, la magie transcendait, expliquait notre monde en échappant au rationnel. Aujourd’hui, les théories « modernes » expliquent un monde en nous faisant échapper encore au rationnel. En profitant de l’infobésité, de la concurrence technologique des réseaux sociaux. Et nos biais cognitifs.

Résister au désastre cognitif, c’est donc refuser la simplicité. Elle demande effort, comme nous l’avons vu. Devant une croyance, appliquer le « choisir l’entre-deux : considérer que les deux idées ( « religieuse, complotiste » et « scientifique » ) ne sont qu’une fausse opposition…

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