
Au milieu du XIXème siècle, l’espérance de vie était sous les 30 ans.
Le progrès médical, technique a permis de nous permettre de vivre un peu plus longtemps. Aujourd’hui, presque 80 ans.
Vivre plus longtemps, c’est en faire quoi ?
Et que faire de ce temps disponible, ces années disponibles ?
Petite histoire de la grande histoire de la condition humaine !
Le travail.
En 1950, selon l’OIT ( l’organisation internationale du travail ), encore 30 % des enfants travaillaient. Occupant leur vie, faite de condition où seul se lever et travailler comptait.
Aujourd’hui, le pourcentage est descendu à 10 % . Cela représente encore quelques 73 millions d’enfants dans le monde.
Le travail, en tant qu’animal dépendant pour sa survie, est une activité d’abord nécessaire.
Autant le poulain qui sort et né peut marcher après quelques minutes, autant l’homme, lui aussi animal social a besoin des autres pour vivre, et sur vivre.
Aussi, le besoin de de nourrir et le besoin biologique impose de travailler, pour obtenir les éléments essentiels à sa vie.
Le travail, dans son éthymologie est Tripalum : l’instrument de torture à 3 pieux.
Pourtant, dans notre société, le travail a d’autres valeurs : rencontre, lien social, utilité.
Ce n’est pas l’oisiveté qu’on recherche dans la vie, avec ses années supplémentaires de vie. Et échapper au travail.
D’ailleurs, on remarquera que beaucoup de retraités regrettent leur vie active, et parfois tombent malade, faute de sens. Pire tombent en dépression. Le vide et l’ennui, lorsqu’on ne travaille plus peut être aussi un supplice, comme le tripalum ).
Karl Marx, au XIXème siècle considérait que le robot pourrait remplacer l’activité humaine et l’émancipation de notre espèce.
Le sujet est d’autant d’actualité avec l’arrivée de l’intelligence artificielle. La robotisation laisse-t-elle plus de temps ?
Aujourd’hui, elle a permis surtout d’augmenter la productivité, mais cette productivité n’a pas été nécessairement redistribuée aux hommes. Elle a en tout cas la vertu d’avoir diminué les tâches humainement douloureuses ( porter des charges par exemple ). Et donc de diminuer les accidents, les maladies. Et au global augmenter l’espérance de vie, donc du temps disponible pour l’homme.
L’intelligence artificielle augmente le champ de la robotisation au niveau des activités routinières intellectuelles ( création, répétition d’écriture de même sujets, même réponses fatiguantes à donner par un service public à ses sujets ).
En parallèle à la diminution des accidents ou maladies physiques, un travail intellectuel moins répétitif ( traité par l’intelligence artificielle), moins routinier, peut orienter l’homme vers des tâches plus gratifiantes pour lui. Et le bien être relève également de la santé, ici, mentale. Et donc d’espérer allonger peut être pas l’espérance de vie ; mais au moins un temps disponible plus qualitatif pour l’homme qui se sent « mieux » mentalement.
On remarquera qu’en russe, l’éthymologie du mot « robot » est travailler, éxécuter à notre place.
Ainsi notre siècle suivra-t-il la remarque de John Keynes, prix nobel d’économie, en 1930 ? :
Trois heures de travail suffiront encore à satisfaire en nous le vieil Adam. [… ]. Ainsi pour la première fois depuis ses origines, l’homme se retrouvera face à face à son éternel problème quel usage de faire de sa libérté : comment occuper les loisirs que la science et les intérêts lui auront assurés, comment vivre sagement et agréablement, vivre bien ?
Que faire du temps disponible ?
Tout le monde n’a pas la chance de travailler, ou travaille de façon précaire ; avec des salaires qui ne permettent pas de vivre décemment.
Il reste selon les hommes, des bulles de temps disponibles ; et il est évident qu’elles ne sont pas aussi pétillantes pour les uns ou les autres.
Une enquête INSEE ( 2009-2010 ) indique que le temps pour le sommeil, la toilette, soin, repas représentent 11 heures 45 de la journée.
Le temps restant se répartit entre le travail, les occupations domestiques, et il reste du « temps de cerveau disponible » , évalué à 5 heures.
- l’éducation de l’esprit.
Le temps libre a été largement utilisé pour la scolarisation et l’éducation de l’esprit. Comme on l’a déjà souligné plus haut, en 1950, 30% des enfants travaillaient encore.
Le temps consacré à l’éducation a ainsi lentement évolué : 8 ans en 1881, 15 ans en 1945 et en 2014 à 18,3 ans.
- Le sommeil.
L’enquête INSEE comptabilise le temps de sommeil à 8 h 30 aujourd’hui. Au début du siècle, ce temps était de 9 h. Laissant une demi-heure de temps disponible.
Ce temps de sommeil est cependant un temps de réparation, de construction de l’esprit et du corps. Pour les enfants, c’est crucial. A 5 ans, il est nécessaire de dormir 11 heures. De 13 à 18 ans, c’est 9 heures. Dans la réalité, les adolescents ne dorment que 7 heures.
Une des raisons principales, que souligne Gérald Bronner dans son essai « L’apocalypse cognitive » est l’utilisation la nuit de son téléphone portable ou tablette.
Ainsi, 50 % des gens déclarent consulter leur smartphone une fois par nuit. Cette addiction réveille, provoque insomnie. Pour les adolescents, qui nécessitent du sommeil pour leur développement physiologique, c’est désastreux.
La difficulté pour l’adolescent est que la nuit, seul dans sa chambre, c’est que c’est le moment où il est seul, sans la vigilance de ses parents. C’est l’occasion d’échanger sur les réseaux sociaux, et d’être présent. Et ne rien « rater » de ce qui se passe. Phénomène bien connu du FOMO : « Fear Of Missing Out » .
Ainsi, le temps que la science, les changements sociétaux ( le partage des tâches ménagères ), la technique ont permis de nous rendre du temps plus « disponible ».
Cependant, des biais, des habitudes captent et vampirisent ce temps…
Etes vous un smombies ?

Le smombies est la contraction de » smartphone » et « zombie » : les piétons qui sont devant leur écran et ne regardent plus autour d’eux. Pouvant même se mettre en danger.
L’attraction des écrans est un sujet d’addiction, qui nous fait perdre notre temps.
En 2024, le président de la République, Emmanuel Macron, en a fait un sujet ; voulant juguler l’utilisation dans l’espace public ( les écoles ) et la sphère privée pour les enfants.
Car les parents sont confrontés au phénomène de cette addiction ; et les parents aussi.
Si la captation sur les écrans ( tablettes, smartphones ) est si puissante, elle réside d’abord d’un point de vue anthropologique par le fait que la moitié du cortex cérébral est consacré au monde visuel. [ Référence : Bear, Connors, Poradiso 2007 ].
Donc, pas étonnant, et soyons indulgents sur cette addiction aux écrans : cela fait partie de la nature humaine. L’homme préhistorique avait besoin de « voir » pour identifier ses proies, ou le danger.
La deuxième raison concernant la captation des usages numériques sur le smartphone, les réseaux sociaux ou toute sorte d’application numérique, c’est l’industrie numérique pour capter les dollars captent votre attention.
Capter l’attention

Le temps qu’on perd, on l’a vu plus haut, avec des chiffres hallucinants, on le passe connecté à notre smartphone.
Pas besoin de rappeler l’intérêt des entreprises numériques à vous capter, enfermer dans leur application. Il s’agit purement et simplement de vous « retenir » et d’offrir de la publicité. Vous êtes le produit.
Les éléments que je voudrais partager ici ce sont les moyens utilisés par les réseaux sociaux, et plus largement par les acteurs de la société numérique. Pour que vous aimiez revenir sur des applications qui ne proposent pas de contenu forcément pertinent.
Le neuromarketing est une technique utilisant vos émotions pour constater votre degré d’appétance sur les achats, sur votre attention.
Bien avant le neuro marketing, les réseaux sociaux ont utilisé les techniques pour capter l’attention.
Les entreprises numériques n’utilisent pas l’intelligence humaine, la raison, pour retenir votre attention, mais par les fondamentaux humains, de réflexe ancrés depuis des millénaires dans notre façon de vivre.
Quels sont-ils ?
- la peur.
Nous sommes, espèce humaine, les descendants des peureux.
C’est ce qui a permis il y a des centaines de milliers d’année de survivre devant le danger. La peur est un réflexe pour fuir le danger, les animaux féroces.
Ceux qui n’ont pas cultivé cet instinct n’ont pas résisté. Aussi, aujourd’hui l’instinct de la peur est encore ancré dans nos gènes. Même si elle moins utile dans un monde civilisé et maîtrisé ( encore que..), la peur crée une vigilance et une attention. Voilà ainsi pourquoi les médias et réseaux sociaux s’emparent de cette tendance naturelle et primaire pour cultiver l’attention.
- le sexe.

Les recherches sur internet et près d’un quart des vidéos vues sur internet concernent des vidéos pornographiques.
Dans l’étude Internet Review Filter ( 2006 ), le top Dix des requêtes sur les moteurs de recherche sont les suivants : sex, adult dating, adult DVD, porn, sex toys, teen sex, free sex, adult sex, group sex, free porn. A lire ici : Le sexe, moteur du web ?
Cela n’est pas trop l’étonnant puisque la reproduction est ce qui a permis à notre espèce de survivre. Surtout dans un temps où l’espérance de vie était bien plus courte et que de nombreux bébés ou enfants ne résistaient pas a l’épreuve de la maladie, des conditions de vie primaires.
Aussi, la captation de nos instincts grégaires sont utilisés par les réseaux sociaux, les médias pour attirer nos lectures, nos likes. Les réseaux sociaux comme Facebook, Tiktok interdisent la nudité, avec une pudeur un peu hypocrites. Mais les beaux corps s’exhibent sur la toile, au plus grand plaisir des utilisateurs, et des régies publicitaires.
- la colère, la conflictualité.
La colère est un instinct primaire lui aussi qui attise les commentaires, l’engagement, la réaction. Elle est relative à la peur. Devant une situation inédite, la colère est une réaction du corps qui dépasse la pensée. Ce que nos ancêtres vivaient, en désarroi, devant l’absurdité du monde qui les détruisait : la famine, la violence de la nature.
Aussi, encore ici, les médias et réseaux sociaux captent cette faiblesse humaine, en propageant des informations, des posts, des histoires qui provoquent en nous la colère, l’indignation.
- Appétit à explorer, la surprise.
Sans vouloir aller ailleurs, découvrir, l’espère humaine n’aurait pas survécu. A la recherche de nouvelles façons de se nourrir, l’homme du néolithique a su se déplacer pour trouver de nouveaux espaces de survie. De nouvelles techniques qu’il a su implémenter par la culture , savoir semer. Aussi, la survie de l’espèce humaine est dû à cette curiosité, à profiter des surprises au pied de soi.
Paradoxalement, on parle souvent des « bulles » dans lesquels nous enferment les réseaux sociaux. L’Intelligence artificielle et les algorithmes des réseaux sociaux nous proposent ce que l’on a envie d’entendre et de lire. Nous confortant dans nos croyances. Et nous capter dans ce cocon numérique qui nous plait.
La surprise fait partie cependant aussi des stratégies du numérique.
Scientifiquement, les stimulis ont tendance à perdre de leur efficacité au fil du temps. On le comprendra avec l’addiction à l’alcool, où on finit par boire plus, car le corps et l’esprit s’habitue, et en veut plus. Le premier verre n’a plus d’effet.
Les réseaux sociaux peuvent bien vous notifier, sur des sujets qui vous intéressent, il en faut plus. Aussi, la surprise, et utiliser cet instinct grégaire de découvrir est également utilisé.
L’exemple le plus flagrant est Tinder, une application qui vous partage les profils de personnes avec qui vous pourriez entrer en relation amoureuse, ou plus. L’algorithme de Tinder est efficace, vous proposant les profils qui correspondent aux attentes. Mais subtilement, Tinder propose aussi aléatoirement des profils qui n’ont rien à voir avec vos gouts. Mais sont proposés pour capter cet instinct de découverte, de curiosité.
- Egocentrisme, visibilité sociale
La plus grande puissance d’attention des réseaux sociaux, qui capte notre temps, et le rend moins disponible pour soi est certainement l’égocentrisme et la visibilité sociale.
Là encore, l’instinct grégaire est utilisé.
Car l’homme est un animal social ; il a besoin des autres pour survivre.
Mais la compétition est rude.
D’autant que la démocratie a changé la donne :
Dans un système social très inégalitaire, les sujets sont confortés et restent dans leur condition humaine.
Dans un système démocratique, l’égalité posée de principe engendre un phénomène : si on est tous égaux, le moindre écart sur cette égalité crée une frustration, un déséquilibre.
Pourquoi l’autre a-t-il mieux, vit mieux, profite mieux ( en regardant les images des vacances de ses amis des réseaux sociaux ).
Ce qu’Alexis Tocqueville a découvert au XIXème siècle déjà, en s’intéressant à la démocratie aux Etats-Unis :
Il y a en effet une passion mâle et légitime pour l’égalité qui excite les hommes à vouloir être tous forts et estimés. Cette passion tend à élever les petits au rang des grands ; mais il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté. »
Ainsi, dans notre monde « horizontal » où tous sont mis au même niveau hiérarchique socialement, la surenchère pousse chacun à participer à la surenchère.
Je déteste les autres quand ils ont mieux que moi. Je les regarde sur les réseaux sociaux ; même les amis.
Et je m’exhibe pour rendre contingent mon être. Et cela, les réseaux sociaux aiment bien.
Voilà pourquoi on y voit les photos de vacances sur la belle plage ( sans indiquer qu’on s’y ennuie ), la photographie des instants comme les anniversaires ( sans parler des propos houleux avec les parents ).
De manière plus inquiétante, le FOMO ( Fear of Missing Out ) tend à capter l’attention pour ne pas « manquer » ce qui se passe. Ne pas être « has been », pas présent dans la sphère sociale qui se passe aussi sur les réseaux sociaux.
Les adolescents, la lampe éteinte dans la chambre, sous la couette, l’éclairage du smartphone capte encore l’attention : voir ce qui se dit entre ados, à l’heure où les parents sont couchés.
Ainsi, voilà, le temps nous est offert, dans ce XXIème siècle, de plus en plus. Des heures, des jours de tranquillité, loin des souffrances matérielles de nos ancètres.
Et dans un mouvement paradoxal, nous donnons notre temps aux machines. L’engrenage à railler , et à retrouver sa liberté. et Pourquoi vivre ?
