La fin de l’écriture ?

Ecrire serait-il un moment en voie d’extinction ?
On n’envoie plus de lettre par la poste. Les messages vocaux remplacent les messages par textos. L’IA vous retranscrit une conférence sur Youtube en une synthèse bien écrite ; sans faute de grammaire ou d’orthographe.

Serait-ce la fin de l’écriture ?

Les signaux d’une fin d’écriture.

L’activité de la poste, dont le rôle était de distribuer le courrier, est passé en quelques décennies à moins de 5%.

Le Français n’écrit plus sur papier. En 2020, le français n’écrit plus que 5 courriers dans l’année en moyenne.

Les ventes d’imprimantes s’écroulent ; on n’imprime plus.

Les notes vocales remplacent petit à petit les textos qu’on écrit à la main.

Et ce pour toutes les générations. Sur What’sapp, tours les jours sont transmis quelque 7 milliards de messages vocaux dans le monde.

Le nombre de podcasts écoutés a explosé : ces moments de partage audios remplacent la lecture du magazine.

Les géants numériques l’ont bien compris, comme spotify en ajoutant ces nouveaux usages de podcasting à leur modèle économique.

Dans certaines écoles, l’écriture cursive disparaît, au profit de la typographie des lettres d’ordinateur.

La lecture des livres audio a doublé depuis 2016.

Ecrire, c’est souffrir !

Petite devinette !
L’application Messenger de Meta ( Facebook ) permet d’envoyer des messages, dont des messages vocaux.
50 % des notes vocales proviennent d’un seul petit pays, le Cambodge. Pourquoi ? parce que dans ce pays, les claviers ne sont pas adaptés avec leur alphabet de la langue kmère.


De même en Afrique, on télécharge des applications dont ce n’est pas la langue maternelle. et 87% des utilisateurs l’utilisent pour envoyer des notes vocales dans une langue différente de celle de l’application.


Plus près de nous, en France, beaucoup de français sont confrontés à l’illettrisme ; 4 % des Français..

Leur parcours scolaire a été chaotique. Pour des raisons souvent familiales. Aussi bien qu’ils aient été à l’école républicaine, obligatoire, les illettrés n’ont pas les bases du français pour pouvoir lire et écrire.


Ecrire, c’est un apprentissage long, qui nécessite de nombreuses années d’école.
Aussi, se passer de l’écriture peut être perçu comme la fin d’une tâche ardue..

Les 3 apports fondamentaux de l’écriture.

Nous savons communiquer depuis au moins 200 000 ans, et écrire depuis 6000 ans.

L’écriture est une invention sociale, très raffinée, et féconde. Avec 26 lettres on peut écrire des millions de mots en les combinant. Des millions de poèmes, de réflexions, d’imaginaires.

L’écriture a permis 3 grands paradigmes :

  • l’exhaustivité :

La technique combinatoire de l’alphabet a permis de nourrir la pensée ; tous les domaines vivants, scientifiques ont pu être ainsi formalisés. La pensée, sa complexité et ses subtilités peuvent définitivement s’exprimer.

  • La permanence :

A la différence des traditions orales, l’écrit est intemporel. Il survit aux siècles, par les livres conservés. D’ancien écrits peuvent même être retrouvés et réparés, lorsqu’ils sont abîmés par le temps. A la différence de la tradition orale qui transmettaient de génération en génération des mythes, légendes, par le bouche-à-oreille.

On remarquera que les data centers qui aujourd’hui stockent les écrits sont alimentés par des centrales nucléaires, nécessitant des quantités d’eau astronomiques. La préservation de l’écrit devient dépendante de nos ressources naturelles. De même, les supports numériques répondent à des standards techniques qui deviennent obsolètes.

  • L’autorité de l’écrit.

Historiquement, la véracité, la légitimité de notre pensée humaine étaient tenus de manière orale. La transmission des mythes, des épopées se chantaient, se proclamaient. Les oracles, les prêtres, les « passeurs » de mots étaient les garants de la mémoire de la pensée humaine.

L’arrivée de l’écriture a renversé le monopole. Par les maisons d’éditions, les sociétés de journalistes, les promulgations écrites, les publications scientifiques.

Mais l’encyclopédie est devenue par exemple la référence de la connaissance humaine.

La fin d’une légitimité de l’écriture.

La légitimité des écrits est parfois remise en cause, dans la concentration de la pensée par des monopoles élitistes.

La monopolisation des moyens techniques et politiques a abouti à une écriture réservée à des élites. Et à un discours « top-down ». Comme l’a fait aussi la radio, la télévision avant la libéralisation de la liberté numérique.

Comme toute construction sociale, elle peut évoluer. Ou être remplacée par d’autres techniques.

On pense un peu à tort que l’arrivée de l’écriture a permis de formaliser, inscrire définitivement l’histoire de notre humanité. Et que c’était le seul moyen.

La machine à écrire et l’autonomie sur le web 2.0 ont permis une démocratisation.

La reprise en main est faite par les citoyens.

Tout le monde peut générer son contenu : des posts, des blogs. Et maintenant du contenu audio et vidéo. En laissant tomber l’écriture…

On notera cependant que cette ouverture et une légitimisation par tous de l’écrit devient une parenthèse. Qui s’est fermée aujourd’hui par la concentration des réseaux sociaux aux mains de grands milliardaires américains ( Facebook, X , …). Qui n’hésite pas à nous retirer le stylo, comme instagram qui privilégie la photo.

Oral & écrit.

Face à ce constat d’une disparition progressive de l’écriture, l’oralité peut elle reprendre la suite ?

Les usages numériques paradoxalement nécessitent d’écrire.

Les guichets dans les établissements publics disparaissent peu à peu. La où on pouvait expliquer à l’oral son problème, on demande de se connecter numériquement. Pour une requête, déposer une plainte sur internet plutôt que d’être reçu par un policier….

L’utilisation des plateformes numériques nécessitent donc encore l’écrit, tout en laissant une place plus importante à l’oral. Et bientôt la place à des agents conversationnels. Qui nous répondront aux questions que l’on posera de vive voix.

L’oralité comme nous l’avons vu permet d’inscrire sa pensée, ses réflexions.

A l’oralité primaire, il existe ainsi une oralité secondaire, qui repose sur l’existence de l’écriture.

Par exemple, j’ai pris des notes, et je les emploie dans un discours oral. Le conférencier, le journaliste télé qui lit ses fiches. Cette oralité présuppose une réflexion, une pensée.

L’oral s’écoute, dans la durée. Et il faut tout écouter pour capter le sujet, l’histoire, une explication.

L’écrit lui est total. La lecture permet la synthèse, d’accélérer instannément la lecture, la réflexion. Et au contraire, de se mettre en pause. Réfléchir sur un mot, une phrase.

Il est usant d’appuyer sur la touche « rewind » pour réécouter une phrase que l’on a pas conscientisé ou compris à la première lecture. Le supplice de l’article audio qu’on écoute.

De même pour produire sa pensée. L’enregistrement de soi nécessite une préparation, de reprendre. Quand on parle, on construit une pensée instantanément, et l’on ne peut revenir dessus. A moins de tout effacer et refaire un enregistrement à zéro.

Silvia Ferrara et l’engagement personnel.

Silvia Ferrara, philologue explique :

Ecrire à la main et taper à l’ordinateur sont deux choses radicalement différentes.

L’écriture n’est pas que fonctionnelle, c’est un engagement personnel.

Quand je prends des notes dans mon carnet que je les relis, j’ai l’impression de relire mon propre travail, même si les phrases que j’ai notées provisoirement proviennent de livres que je n’ai pas écrits.

Je les fais miennes parce que je les ai sélectionnées, que j’ai recopié les passages dont je souhaitais me souvenir, que je voulais matérialiser.

Le fait de les écrire les transforme en quelque chose de très personnel et très intime.

L’écriture traduit bien plus que la parole, elle raconte ma manière de coir le monde, le filtre à travers lequel je déchiffre et comprends ce qui m’entoure. Bien sûr, on pourra demander aux machines de rédiger à notre place des mails auxquels on n’a pas envie de répondre, mais il faudra résister à la tentation de leur déléguer les choses importantes, au risque de perdre le contrôle et l’intentionnalité derrière ce que nous écrivons.

Pour preuve de cette nécessité de « coucher » sa pensée, la tendance du « journaling » a une vitalité, chez les jeunes : A lire ici mon billet précédent : le journaling.

Ces réflexions sont largement illustrées dans la revue Usbek et Rika que je conseille fortement !

L’écrit n’a peut être pas dit son dernier mot.. Il est une pratique complémentaire à l’oralité. Les nouveaux usages, que l’on s’approprie, tendent à rendre l’écrit ou l’oral prégnant ; en fonction de son utilité et efficience.

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