Qu’est ce que la loi de Brandolini ? Plus facile à désinformer qu’à démontrer.

L’italien Alberto Brandolini, développeur informatique, popularise en 2014 un principe, qui deviendra « la loi de Brandolini ». Contrer la bêtise prend de l’énergie..

Que dit cette loi, qui s’applique dans notre quotidien numérique ? Et comment la déjouer ?

Que dit la loi de Brandolini ?

« la quantité d’énergie nécessaire pour réfuter des baratins est supérieure d’un ordre de grandeur à celle nécessaire pour les produire ».

Ou autrement dit :

« Au fond, il est plus facile et plus rapide de créer une fausse information que pour montrer qu’elle est fausse« ..

A l’origine, Brandolini formalise ce principe, en écoutant les fausses informations que distille l’homme politique Silvio Berlusconi dans un interview.. Dans l’interview de l’homme politique, le journaliste peine à contredire Berlusconi..

La formule devient populaire, en ces temps de populismes, de désinformation, de fake news..

C’est le cas par exemple dans les débats de Donald Trump où il est difficile pour un journaliste de contrecarrer le président, sûr de lui, et propageant des informations erronnées.

Dans un débat, le temps de parole est limité pour les participants.

Aussi, répondre pour contrecarrer un mensonge prend du temps, comme le stipule la loi de Brandolini.

Et l’égalité du temps de parole va évidemment pénaliser celui qui veut rétablir la vérité.

C’est ce que formule ainsi l’ingénieur et conférencier Jean-Marc Jancocivi. En l’invitant à réagir sur des propos de Jean-Luc Mélanchon, Jean-Marc Jancocivi déplore :

« La loi de Brandolini vous dit que quand vous avez un temps égal pour quelqu’un qui a dit quelque chose d’inexact et quelqu’un qui essaie d’expliquer pourquoi c’est inexact, la personne qui essaie d’expliquer pourquoi c’est inexact perd toujours ».

Histoire des fakenews.

Le principe de la loi de Brandolini n’est pas nouveau.

Déjà en 1733, l’écrivain écossais John Arbuthnot, dans L’art du mensonge écrivait :

« le mensonge vole, et la vérité ne le suit qu’en boîtant ».

En 1751, Jean-Jacques Rousseau écrit :

« c’est une chose bien commode que la critique ; car où on attaque avec un mot, il faut des pages pour se défendre ».

Si la loi de Brandolini a du succès, c’est qu’elle renouvelle la formule dans un temps où la désinformation devient plu.

Et c’est un tweet de Brandolini, X ( Twitter ) en 2014 largement relayé qui la rend célèbre.

Propagande et complotisme.

La technique de propagande utilise évidemment la loi de Brandolini, pour avancer des choses sans preuve. Et dont on sait qu’il sera long à les contrecarrer.

« la terre est plate ». « le COVID a été inventé pour relancer l’industrie des vaccins », …

Les complotistes, les populistes en tout genre sont tranquilles.

Ils peuvent utiliser comme le bon vouloir l’information la plus erronée. Il faudra plus de temps pour la corriger. Et le mal sera déjà fait : l’information devient virale.

La technique est alors de diffuser en masse de l’infox rapidement.

Les pauvres journalistes mettront du temps à analyser, trouver les arguments pour contrer le mensonge..

Comment contrecarrer les fakenews et les théories du complot ?

Deux écoles tentent de répondre à leur manière aux complotistes et aux fakenews.

La première est celle de systématiquement apporter les preuves contraires. Comme nous l’avons vu, cela prend du temps et de l’énergie.

La deuxième école est celle de refuser catégoriquement d’apporter la preuve du mensonge.

Il s’agit de ne pas rentrer dans un débat stérile à tenter de convaincre par des contre arguments. Et ne pas entrer dans un autre principe, celui de l’inversion de la charge de la preuve.

En clair, c’est à celui qui avance un fait à apporter la charge de la preuve. Et non à son interlocuteur. Celui qui nous dirait « je pense que la terre est plate. Prouvez-moi que j’ai tort », la personne nous fait une injonction à devoir prouver le contraire. C’est un principe fallacieux, nommé « principe de l’inversion de la charge de la preuve« .

Ainsi, à une personne qui donne des fausses informations, il faut lui répondre :

« Ces propos sont erronés. Donnez moi les preuves scientifiques ».

Sans argumenter.

Et s’arrêter là.

Ne pas opposer des contre arguments.

Ainsi, la loi de Brandolini n’est pas appliquée. Et le débateur peut parler d’un sujet plus pertinent.

Ce principe de ne pas inverser la charge de la preuve, mais plutôt de fournir la charge de la preuve à celui qui énonce un fait est un usage dans nos lois juridiques, et la justice. Comme on le verra plus loin.

Si vous souhaitez une image plus parlante de ce principe de ne pas inverser la charge de la preuve, l’analogie de la théière de Russel est intéressante.

C’est une analogie que nous propose le mathématicien et philosophe Bertrand Russel.

La théière de Russel.

Pour illustrer qu’inviter l’interlocuteur à à ne pas inverser la charge de la preuve, Bertrand Russel prend l’exemple d’une théière ; qui naviguerait entre la Terre et la planète Mars. Dans le texte « Is there a God ? » il formule ainsi :

Si je suggérais qu’entre la Terre et Mars se trouve une théière de porcelaine en orbite elliptique autour du Soleil, personne ne serait capable de prouver le contraire

Bertrand Russel nous montre qu’il est simple d’énoncer un fait, et simple de laisser à l’interlocuteur le soin d’apporter le contraire. Ainsi, chacun d’entre nous pourrait énoncer n’importe quelle bêtise…

Le philosophe a utilisé cette analogie pour contester l’idée que la charge des preuves des croyances religieuses doive reposer sur l’agnostique, celui qui ne croît pas. C’est au contraire à celui qui adhère à des croyances religieuses de démontrer leur validité.

Pour clore un débat, une idée fallacieuse, utiliser l’analogie de la théière de Russel :

« Tu penses ceci ? eh bien moi, je crois à la théière qui circule entre la terre et Mars. Personne ne pourra prouver le contraire..« .

La réplique permet de montrer la bêtise d’un complotiste…

A une contre vérité, opposer une contre vérité, si absurde soit elle.

Cela permet de rester au même niveau que l’idiot, tout en ayant la formule intelligente..

La charge de la preuve

Dans le domaine du droit, heureusement, l’inversion de la charge de la preuve n’a pas lieu.

C’est une réflexion pour celui qui a affaire à un complotiste ou un colporteur de fakenews : « Dois-je répondre ? ».

Lorsqu’on a affaire à un contradicteur sans argument, se poser la question : la loi ne nous impose pas à apporter la preuve, mais au colporteur. Cela doit nous amener à ne pas succomber à répondre.

La charge de la preuve est un élément essentiel, dans les litiges.

En savoir plus ? :

Le principe de la charge de la preuve repose sur l’idée que chacun doit prouver ce qu’il avance.

Il s’agit de l’article 1353 ( et suivants ) du code civil.

La preuve suit cependant le principe de la mobilité de la charge de la preuve : le demandeur doit d’apporter la preuve de ce qu’il invoque ; ensuite la charge se déplace vers le défendeur, qui doit prouver le contraire pour contester.

Le fardeau de la preuve n’est pas fixe. Pour faire le parallèle avec le complotiste, c’est lui qui doit amener ses preuves, qui pourront elle-même être réfutées par le contradicteur.

Par exemple, si une personne A vend un bien à B, mais B refuse de payer en prétextant un vide caché dans le logement, la charge de prouver ce défaut incombe d’abord à la personne B. Si B prouve l’existence de ce défaut, A devra à son tour prouver qu’il a respecté les conditions de la vente.

Les présomptions légales.

La charge de la preuve a cependant quelques exceptions. Cela concerne des situations qui bénéficient d’une présomption légale.

Cela permet de dispenser à prouver certains faits, lorsque la loi estime qu’il existe une probabilité suffisante de leur véracité.

Par exemple, les parents sont présumés responsables des dommages causés par leurs enfants. Il n’y a rien à prouver, c’est dans le code civil. Certaines preuves ne peuvent pas être contredites par une preuve contraire ( présomption irréfragables ). Par exemple, le code civil interdit aux professionnels de santé de recevoir un don de leur patient. Il est vain au professionnel de prouver que la donation était licite.

Les présomptions légales sont prévues directement dans la loi. Et ne nécessitent d’apporter une preuve à une personne. La charge de la preuve est transférée à la partie adverse. C’est le cas par exemple dans le droit à la consommation, sur un défaut d’un produit qui a été acheté. C’est au vendeur de prouver le contraire.

Les présomptions judiciaires ( ou du fait de l’homme ).

Les présomptions judiciaires sont elles basées sur l’interprétation du juge. Il peut déduire des faits connus l’existence de faits inconnus. Il n’y a ici pas de preuve, mais un faisceau d’indice suffisant pour en faire une décision.

Par exemple, dans le cas d’un accident de la route, des traces de freinage et un compteur bloqué à une vitesse élevée peuvent amener le juge à conclure à un excés de vitesse.

On retrouve aussi la présomption d’innocence, la présomption de paternité ( le mari de la mère est présumé être le père de l’enfant, bien qu’aucun test de paternité n’a été effectué ).

Aussi, face à un complotiste ou un colporteur de fausses informations, plutôt que de rechercher des contre arguments, utilisez la présomption, ce faisceau d’indice courant qui permet de clore le débat : « La science a suffisamment fourni les éléments contraires à ce que vous affirmez« . Point barre.

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