
Les correcteurs orthographiques ont changé la vie à beaucoup.
Une hésitation, et le smartphone nous aide à choisir le bon mot, avec la bonne orthographe.
Mieux, le smartphone nous propose de continuer la phrase qu’on avait décidé.
A force de se laisser materné par notre smartphone, le plaisir de la création s’estompe.
Et pire, la pauvreté du langage risque de nous rendre enfermé dans un dictionnaire ténu.
Ainsi, a-t-on tué Baudelaire ?
Qu’écrirait Charles Baudelaire au XXIème siècle ?
C’est l’expérience à vivre, ci-dessous…
Charles Baudelaire a écrit « les fleurs du mal« , avec des poésies qu’on relit avec grand plaisir et émotion.
La création et l’inspiration de Baudelaire viennent de ses tripes, de son coeur, et de son exigence intellectuelle.
A trouver le mot qui reflète le mieux sa pensée.
Le langage est notre corps et notre air, notre monde et notre pensée, notre perception et notre inconscient même.
Philippe Sollers
Aussi, le smartphone permet d’aisément de trouver le mot qui suivra sa pensée.
L’intelligence artificielle dans les usages courants, grâce à ChatGPT par exemple, permet de déléguer son discours, son phrasé à un robot. Qui ne fera pas de fautes d’orthographes.
Mais qui ne saura trouver ce que vous vouliez dire ou imaginer.
Car votre cerveau empli de milliards d’interconnexion, d’émotions est bien unique. Voilà pourquoi on reconnait la « patte » d’un auteur. Ou votre patte personnelle. Votre inner-life.
Le smartphone magique nous rend cependant paresseux. Et surtout limite les explorations de soi-même.
Le poème de Baudelaire, au XXIème siècle.

Voici mot à mot le poème qu’écrirait Charles Baudelaire aujourd’hui, s’il utilisait son smarphone pour l’écrire.
Se laissant guider paresseusement par la technologie…
Tenez de reconnaître le poème original, et surtout , trouvez-vous ce poème « mécanique » sublime ?
Sous les of noires qu’il l’est abrite tout,
L’esprit hiboux s’est tiennent rangés,
Ai signé quelques désolé dieu c’est étrangers,
D’ardoise l’Europe œil rouge. Il s’agit médias.
Sans Rémi il se tiendra
Juste à l’heure mêla
Oui, poussin les solde oblige,
Les ténèbres s’établi.
Leur attaque aux sages ensuite
Qu’ils faut encore c’est monsieur qu’il vrai
Le tube était les moules ;
L’homme ivre d’un ombre qui passe
pour tout le changer
D’à vous change des places.
Le poème écrit de Charles Baudelaire est celui des Hiboux :
Sous les ifs noirs qui les abritent,
Les hiboux se tiennent rangés,
Ainsi que des dieux étrangers,
Dardant leur œil rouge. Ils méditent.
Sans remuer ils se tiendront
Jusqu’à l’heure mélancolique
Où, poussant le soleil oblique,
Les ténèbres s’établiront.
Leur attitude au sage enseigne
Qu’il faut en ce monde qu’il craigne
Le tumulte et le mouvement ;
L’homme ivre d’une ombre qui passe
Porte toujours le châtiment
D’avoir voulu changer de place.
Peut-on encore être poète aujourd’hui, si l’on s’oblige à ne pas lâcher le smartphone ?
La question peut peut-être faire sourire..
Il suffirait de ne pas utiliser son smartphone pour écrire.
Et pourtant, les usages ont toujours modelé notre civilisation humaine.
L’imprimerie a définitivement supprimé la copie des livres à la main.
L’écrivain finit par définitivement quitter la machine à écrire pour un Machintosch..
Next ? son écriture et son langage..
L’efficacité des outils et la paresse humaine nous poussent à se détourner de ce qui est fastidieux.
D’autant que la grosseur du doigt sur le smartphone nous pousse à appuyer sur les mauvaises lettres.
Que le smartphone a bien vu, et corrigé !
Alors pourquoi encore réfléchir au mot pertinent et bien orthographié, quand le smartphone saura trouver le mot juste, fluide..
La statistique du mot.

Si l’on pense que le smartphone ou l’intelligence artificielle nous propose le mot parfait, vous faites erreur.
Le smartphone ne propose que de la statistique..
Notre langue est en effet largement prédictive et statistique.
Derrière le mot « joyeu », la lettre x a 100% de probabilité..
Voilà comment l’intelligence artificielle, le correcteur d’orthographe peuvent « deviner », « proposer » le mot qui suit votre pensée.
La théorie de l’information utilise largement la probabilité de l’information pour la coder. On estime la langue anglaise redondante de moitié : c’est-à-dire qu’on pourrait diviser par 2 les lettres, mots pour se comprendre !
C’est ce qu’a formalisé Claude Shannon, illustre mathématicien, dans la théorie de l’information. ( à lire ici le texte fondamental de Claude Shannon )
Le correcteur orthographique procède ainsi : proposer le mot statistiquement le plus probable..
La redondance des lettres ou mots inutiles permet au cerveau d’immédiatement comprendre le mot et ne plus le déchiffrer lettre après lettre. Visuellement, on devinera derrière « ab.olu.men. » le mot « absoluement ».
Bien sûr, la statistique s’applique sur la composition des mots par les lettres ; des phrases par des mots.
La capacité de mémoire des données ( les mots, textes ) et de calcul statistique permet ainsi à l’intelligence artificielle de produire des textes cohérents. Et même de proposer des formules « à la manière de… ».
La boucle rétro-active des mots nous enferme.
Maintenant que l’on a compris que la technologie s’appuie d’abord sur la statistique pour proposer le mot qui suivra votre pensée, pourquoi la création et la pensée sont-ils menacés ?
Le fonctionnement des intelligences artificielles est la suivante :
Pour alimenter les millions de combinaisons possibles, et calculer statistiquement quels sont les mots à proposer, le moteur des IA s’alimente des résultats produits par l’humain.
Dans ses nouveaux textes, nouvelles phrases. Or, ces phrases sont celles qu’a proposée l’IA.
Le mot choisi alimente le même moteur statistique
Le mot que vous avez choisi ( grâce à l’IA ) devient donc statistiquement plus probable, car il ressort plus souvent de vos phrases… Et donc statistiquement, l’IA vous les proposera plus facilement.
Exit les mots incongrus, inhabituels. La création, la métaphore, les jeux de mots, les néologismes tendent à disparaître sous la médiocrité de même mots proposés..
De manière rétro-active, le vocabulaire s’appauvrit donc. De lui-même..
C’est ce que George Orwell, dans son roman d’anticipation, 1984, prévoit. La pauvreté des mots. La pensée de moins en moins complexe.
Si les gens ne savent pas bien écrire, ils ne sauront pas bien penser. Et s’ils ne savent pas bien penser, d’autres penseront à leur place.
George Orwell
Sur un cahier blanc, le mot est difficile à trouver. Pour ce que je veux dire.
Mais l’enfant réfléchit. Et son mot devient le sien…
